Comment réaliser l'analyse sémiologique d'une image ?
Ce matin à l'Université Paris 5 j'ai eu la chance de partager ma passion pour la sémiologie. Cette discipline, encore peu connue, interroge les signes de notre vie sociale. Regardez ce panneau par exemple, vous le connaissez bien : vous le voyez tous les jours. Mais l'avez-vous bien regardé ? L'auriez-vous suspecté d'idéologie ? voire même de sexisme ? Et pourtant... Le décryptage sémiologique permet de "faire le procès de sens", faire émerger "le message sous le message", met aux yeux de tous les "idéologèmes et "mythèmes" sous-jacents, invisibles, implicites, non-dits, voire indicibles...
Faire émerger la rhétorique de l'image
Dans toute analyse sémiologique, on part des signes visibles, dits "de surface", vers les signes invisibles, dits "latents". Constituée comme un iceberg, la signification de l'image se révèle au fur et à mesure des thèmes, des structures narratives, des valeurs et des identités du corpus (=matériau analysé). Selon une méthodologie spécifique, la sémiologie est la seule discipline universitaire et scientifique permettant de sortir de la simple description d'images. C'est d'ailleurs une erreur trop répandue que de s'arrêter à cette question : "comment décrire une image ?". La question qui taraude le sémiologue est "quel est le Sens de cette image ?", voire "que raconte-t-elle de notre civilisation ?" Le carré sémiotique est l'un des outils les plus connus dans l'analyse sémiologique, mais il n'est pas toujours le plus pertinent. Mais continuons avec l'analyse de ce panneau de signalétique.
Exemple d'analyse sémiologique
La suite de ce texte est un extrait du livre Anti Bullshit (éd. Eyrolles) :
1) DÉCELER LE MESSAGE CODIFIÉ IMMÉDIAT
Observons ce panneau emprunté au code de la route, que tout le monde connaît. Son interprétation offre peu de prises à la fantaisie. Le code de la route porte bien son nom : c’est un code, il se doit d’être clair. Et pour cause, tout le monde doit pouvoir se mettre rapidement d’accord sur sa signification. Sinon, gare aux accidents ! La signification de ce panneau est admise et partagée par tous : « Attention, j’arrive dans une zone où se trouvent des enfants, je dois ralentir et être vigilant. » Le contenu du message est clairement identifié.
2) S’ÉMERVEILLER COMME L’ENFANT OU L’EXTRATERRESTRE DEVANT LE CONNU
Le premier postulat est que la réalité est une construction humaine. L’objet ne représente que le résultat d’un point de vue. L’objectif de l’analyse sémiologique est de faire émerger les idéologèmes ou représentations sous-jacents. Le second est que rien n’est jamais évident. Il faut parfois apprendre à tout déconstruire, pour qu’un corpus fasse sens. Avoir l’ingénuité de l’enfant, le regard de l’émerveillement... Et si j’étais un extraterrestre, comment percevrais-je ce support de communication ? Voici une bonne question à se poser.
3) PENSER LES SIGNIFIANTS DE MANIÈRE SYSTÉMIQUE
(...)
Analysons ainsi les deux personnages à l’intérieur du triangle en décrivant simplement ce que nous percevons, comme si nous étions un détective averti, et comme si nous voyions cet objet pour la première fois. Les interprétations sont entre guillemets :
🔳 il y a un grand personnage (« grandeur »), un plus petit (« petitesse ») ;
🔳 ils sont en mouvement vers la gauche (« action ») ;
🔳 les deux personnages se tiennent la main (« relation » entre les
personnages) ;
🔳le grand personnage est devant (« il conduit »), le petit est derrière
(« il suit ») ;
🔳 le grand personnage est en pantalon (« c’est un garçon »), le petit
personnage est en robe (« c’est une fille »).
(...)
5) RENDRE VISIBLE LE MYTHE SOUS-JACENT
Mon grand personnage ne peut pas se comprendre comme unisexe, c’est-à-dire masculin ou féminin, du fait de sa coprésence avec un personnage sexué. Ce panneau nous renseigne donc, plus ou moins consciemment, sur une certaine hiérarchisation des genres. Le personnage masculin est plus grand, il guide un personnage féminin plus petit. Les rôles sont ainsi répartis : il y a un décideur qui conduit l’action et un autre protagoniste qui suit le mouvement de manière plus passive. Voici les indices d’une société culturellement patriarcale : le genre masculin dirige, le genre féminin suit. Il est le sachant, elle est l’apprenante.
6) SE FROTTER AUX USAGES ET HABITUDES SOCIALES
On pourrait aussi percevoir ces pictogrammes comme une représentation iconique du réel. Est-on bien sûr que ce sont les papas qui amènent leurs enfants à l’école ? Les chiffres de l’Insee indiquent l’inverse ! (Source : « Faire garder ses enfants sur son temps de travail », Insee Première, n° 1132, avril 2007.)
Ce panneau, loin d’être un anodin copié-collé du réel, contient donc en lui le germe idéologique de la représentation des genres. Quel est alors l’impact de ces représentations, plus ou moins conscientisées, auxquelles nous sommes soumis quotidiennement ? Bernard Darras nous éclaire :
« Infime peut-être, mais non négligeable certainement. Non négligeable, car ce sont précisément les mini-réseaux cohérents, les répétitions de relations « anodines » et les constructions « insignifiantes » comme celles-ci qui fabriquent, entretiennent et pérennisent les visions du monde d’autant plus pernicieuses qu’elles ont l’air inoffensives. D’ailleurs, les designers et les prescripteurs de signalétique continuent de reproduire les modèles dominants et de renforcer les inégalités sociales. Les habitudes de communication et les représentations habituelles s’entretiennent mutuellement. Changer les premières, c’est contribuer au changement des secondes.. »
Source : « Sémiotiques des signes visuels », Images et sémiologie, Publications de la Sorbonne, 2008.
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