top of page
Photo du rédacteurelodie

Le carré sémiotique

Dernière mise à jour : 27 août

Outil le plus précieux du sémiologue, le carré sémiotique est parvenu à s’imposer dans les agences de communication. Mais qu’est-ce qu’un carré sémiotique ? à quoi sert-il exactement ? Et comment l’appliquer correctement ? La réponse à toutes vos questions ici !


Le carré sémiotique est une approche puissante. Elle permet de sortir des oppositions purement binaires en déployant d’autres univers de significations.


1- Du carré logique d’Aristote au rectangle sémiotique de Greimas


a- le carré logique d’Aristote


En effet, il existe toujours des positions au-delà du dualisme plus évident. C’est en donnant une nouvelle vitalité au carré logique aristotélicien que surgit le carré (ou rectangle) sémiotique du linguiste Algirdas Julien Greimas. Le carré « du jugement » d’Aristote repose sur quelques principales règles du syllogisme.


Le carré logique d’Aristote : du général au particulier.

En sémiotique, le carré dépasse l’application purement argumentative et discursive pour s’appliquer à tous les corpus possibles (= matériaux d’analyse) : publicité, iconographie, comportements humains, etc.


b- le carré sémiotique de Greimas


Dans le carré simple, il existe des relations spécifiques qui structure ce carré :


le carré sémiotique de Greimas : dépasser les dualités

Ci-dessus un carré sémiotique simple avec relation de contrariété, de complémentarité et de contradiction :

  • S1 et S2 sont des opposés, c’est-à-dire qu’ils sont dans une relation de contrariété. Plus précisément, cela veut dire qu’affirmer le premier c’est nier le second, mais nier l’un n’est pas forcément affirmer l’autre. Prenons l’exemple de l’opposition « noir » versus « blanc » : dire qu’un objet est blanc ne signifie pas forcément qu’il n’est pas noir. Et dire qu’il n’est pas blanc ne signifie pas qu’il est noir. A noter que la relation d’opposition peut se déployer en une troisième position ou graduation. Dans notre exemple, le « gris » est une alternative possible au « blanc » et « noir ». En savoir plus sur les antonymes. La vitalité de la relation de contrariété repose sur un axe sémantique (ou dénominateur commun) qui les rend homogènes : par exemple, celui de la température chaud/froid, de la taille pour petit/grand, etc.

  • S1 et non S1 sont contradictoires, c’est-à-dire qu’ils sont dans une relation de contradiction. Plus précisément, cela veut dire que l’affirmation de l’un équivaut forcément à la négation de l’autre (et réciproquement). La relation est exclusive, il n’y a pas de troisième position possible. Par exemple, un nombre est pair ou impair. On parle de relation non dégradable ou de tiers exclu. (Source : Revue Texto).

  • S1 et non S2 sont impliqués, c’est-à-dire qu’ils sont dans une relation de complémentarité. La position non-s1 implique s2 et la position non-s2 implique s1. S1 et S2 sont ainsi des présupposés des termes assertés non-s2 et non-s1.


2- Les méta-termes ou le carré sémiotique complexe


a- le carré sémiotique complété avec les méta-termes


Il existe également d’autres positions tout à fait judicieuses pour compléter les premières positions du carré sémiotique ci-dessus. Ce sont les métatermes.


Le carré sémiotique complexe avec les “métatermes”

Voici les différents métatermes du carré sémiotique :

  • S1 + S2 : metaterme complexe. Cette position correspond à l’inclusion : S1 et S2 en même temps ;

  • non S2 + non S1 : métaterme neutre qui correspond au ni S1 ni S2 ;

  • S1 + non S2 : c’est la deixis positive ;

  • S2 + non S1 : c’est la deixis négative ;

Enfin, le sémioticien Louis Hébert précise, il existe deux autres positions qui ne portent pas de non et qui correspondent aux métatermes :

  • S1 + non S1

  • S2 + non S2

b- la proposition d’Eric Landowski sur les interactions entre personnes


C’est dans Les interactions risquées (2006) que le socio-sémioticien Landowski élabore les différentes stratégies interactionnelles et interpersonnelles du sens. Il distingue ainsi quatre « régimes de sens » :

  • La programmation où l’interaction se caractérise par son « insignifiance ». Par exemple, quand je rencontre un ami dans la rue, je lui dis « bonjour, comment ça va ? » c’est par pure convention (= régime du cosmos).

  • L’assentiment ou l’accident où l’interaction apparaît comme « insensée ». Par exemple, quand, au casino, après avoir déjà perdu 40 000 euros, je mise mes 10 000 derniers euros à la roulette, espérant que ma bonne étoile me sourira enfin (= régime du chaos).

  • La manipulation où l’interaction a de la « signification ». Par exemple, quand je négocie mon salaire auprès de mon patron, j’essaie d’avancer des arguments rationnels pour modifier sa position, son avis, sa vision du monde (= régime du logos).

  • L’ajustement qui se distingue des autres régimes en ce que l’interaction fait « sens ». Par exemple, quand je danse et que j’épouse naturellement, sensiblement, instinctivement, les pas et les mouvements corporels de mon ou ma partenaire (= régime de l’oikos).


Le régime des interactions sous forme de carré proposé par Eric Landowski

3- Trois applications concrètes : le carré veridictoire, le carré genré et le mensonge en politique


a- Le carré véridictoire


Voici un exemple souvent cité de carré sémiotique : le carré veridictoire. Il s’agit de déployer la première opposition « être » versus « paraître » pour déployer les univers vérité / fausseté. C’est notamment le linguiste Joseph Courtés qui le développe dans son ouvrage « Analyse sémiotique du discours ».


Le carré véridictoire proposé par le linguiste Joseph Courtès

b- Le carré genré


Un autre exemple souvent cité, et que l’on retrouve dans les corpus ayant traits à la publicité pour parfum, le carré genré « masculin » versus « féminin ». Ici le carré sémiotique permet de sortir de ce que l’on nomme communément la bicatégorisation (ou binarisme). Et les métatermes viennent compléter avec une grande précision :



Le carré sémiotique appliqué à l’opposition Féminin vs Masculin

c- Le carré du mensonge en politique


Pour ma part, lors de l’affaire Benalla, j’avais proposé une analyse sur le mensonge en politique basée sur le carré sémiotique suivant. Cette analyse avait pour objectif de faire émerger les « patterns » commun entre les affaires Cahuzac, Fillon et Benalla.


Le carré sémiotique du mensonge, appliqué à l’affaire Benalla

Vous pouvez également retrouver une autre proposition de carré sémiotique sur le « complotisme » que je propose suite au « documentaire » Hold-Up, c’est dans cet article pour Marianne.


d- Comment construire son propre carré sémiotique ?


Voici, d'expérience, quelques points importants à garder en tête :

  • Partir d'au moins une relation forte entre deux éléments X1 et X2.

  • La relation entre X1 et X2 peut-être soit de contradiction ou de contrariété :

    • Garder en tête que la relation de contrariété existe entre deux termes qui s'opposent, mais qui appartiennent à un même champ sémantique. Ils peuvent cohabiter dans le même univers.

      • Dans le carré sémiotique, si l'on considère A et B comme deux contraires, ils sont opposés dans leur signification mais peuvent coexister comme des valeurs opposées d'une même dimension. Par exemple, chaud (A) et froid (B) sont contraires, mais entre les deux, il existe un continuum (températures modérées), ce qui permet des degrés intermédiaires.

    • A l'inverse, la relation de contradiction est la relation la plus forte dans le carré sémiotique. Elle existe entre deux termes ou concepts qui s'excluent mutuellement et ce, de manière absolue. Si l'un est vrai, l'autre doit nécessairement être faux. Les termes en contradiction sont donc logiquement incompatibles.

      • Dans le contexte du carré sémiotique, si l'on prend les termes A et non-A, ils sont en relation de contradiction. Par exemple, dans une opposition classique comme vie (A) et mort (non-A), on ne peut pas être à la fois vivant et mort. L'existence de l'un exclut l'existence de l'autre.

      • Dans un carré sémiotique : Les termes en contradiction sont situés aux extrémités opposées d'une diagonale. Par exemple, si A est en haut à gauche, non-A sera en bas à droite. Ils représentent des concepts qui ne peuvent coexister.

  • Généralement, une fois que vous avez X1 et X2, déterminé s'ils étaient en relation de contrariété OU de contradiction, X3 se trouve facilement, puis X4.

4- Les autres représentations formelles

a- Le carré sémiotique ne doit pas confondre avec le « 4-groupe » de Klein

Le 4-groupe de Klein est un modèle mathématique, qui a été repris en pscyhologie, notamment par Jean Piaget. Si sa structure est proche du carré sémiotique, il ne saurait s’y confondre. En effet, il n’y a pas un seul axe sémique (ou axe différentiel), mais deux dans un groupe de Klein. Voici l’exemple déveoloppé par Jospeh Courtés :


La structure du 4-groupe de Klein n’est pas celle du carré sémiotique.

La structure du 4-groupe de Klein n’est pas celle du carré sémiotique.

Que ce soit un carré logique, un 4-groupe de Klein ou un carré sémiotique, ces outils sont précieux et vous aideront, je l’espère, à sortir des oppositions binaires – et parfois sans nuance- de nos perceptions.

b- Le schéma tensif de Zilberberg pour marquer la graduation

Dispositif de la sémiotique post-greimassienne, le schéma tennis de Zilberbeg permet de sortir des positions du carré sémiotique pour en explorer la variabilité. Dans le schéma tensif, une valeur donnée est constituée par la combinaison de deux «avalences » (ou dimensions), l’intensité et l’extensité.

  • L’extensité est l’étendue à laquelle s’applique l’intensité ; elle correspond à la quantité, à la variété, à l’étendue spatiale ou temporelle des phénomènes.

  • Les deux valences relèvent du quantitatif : la première, du mesurable ; la seconde, du nombrable.


Schéma tensif de Zilberberg (Source : Louis Hébert)


c- La sémiosphère de Youri Lotman : du cosmos au chaos

Youri Lotman a écrit son ouvrage fondateur en 1996. Sa pensée reste encore peu traduite et parfois incomprise. La définition assez large, mais complexe, du terme « sémiosphère » permet des applications multiples. La conceptualisation de l’espace social comme un noyau dont la surface vient jouer le rôle de « frontière » permet d’élaborer la représentation de la norme (cosmos) et du barbare (chaos). Pour le sémioticien, cet espace est à la fois mental et territorial :



La notion de sémiosphère développée par Youri Lotman

« (les individus) sont immergés dans un espace-temps réel, celui que la Nature leur a donné », mais que leur seul moyen d’avoir prise sur cette spatio-temporalité naturelle, sur leur vie, c’est de la mentaliser, de « concevoir une représentation fondamentale du monde, un modèle spatial de l’univers. »

Source : La Sémiosphère (1999), Youri Lotman. Citation de l’article « Comment le sens s’institutionnalise-t-il dans l’espace social ? Approche sociosémiotique des stratégies collectives et individuelles d’optimisation des interactions sociales » Perusset.

1 194 vues0 commentaire

Comments


bottom of page