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Ce que les signes veulent (nous) dire

J'avais envie de revenir sur ma discipline, la sémiologie. Comprendre comment les signes nous font sens. J'aborderai donc l'évolution de la sémiologie à travers les âges puis je vous présenterai une typologie que je développe dans l'ouvrage Anti Bullshit. Je vous proposerai pour finir une manière de lire certains événement d'actualité dont l'apparition de Kate Middleton à Wimbledon ou encore l'arrivée de Simone Biles aux JO.


Histoire et évolution de l'interprétation des signes


Dans la Grèce Antique, les signes sont des indices


Les racines de la sémiologie sont d'abord médicales. Un héritage qui perdure puisqu'il vous suffit de vous rendre dans un hôpital pour voir le mot "sémiologie" inscrit aux détours des couloirs.


En effet, la sémiologie trouve ses premières applications dans la médecine avec Hippocrate (460-370 av. J.-C.). Ce dernier utilise l'observation des signes cliniques pour diagnostiquer les maladies. Le signe est alors de nature indicielle : la sémiologie médicale repose sur l'interprétation des symptômes comme indiquant des conditions pathologiques sous-jacentes.


En philosophie, Aristote et Platon discutent de la nature du signe, naturel ou conventionnel. Notamment dans le dialogue du Cratyle, Platon explore la relation entre les mots et les choses. Un mot est-il une étiquette conventionnelle et arbitraire ? C'est la thèse de la langue comme nomenclature. Ou bien les mots ont-ils une relation naturelle avec ce qu'ils désignent ? Il existerait dans ce cas une correspondance intrinsèque entre les sons des mots et les caractéristiques des objets. C'est la thèse naturaliste. On reprend souvent l'exemple des onomatopées qui imitent souvent le son des objets ou actions qu'elles désignent. Même s'il y a bien une dimension cutlruelle. Par exemple, un coq français se repère par son "cocorico" alors que pour un coq allemand c'est un "kikiriki". Ceci dit, on retrouve bien la structure d'une consonne occlusive (le "ke") suivie par une voyelle. Certains chercheurs parlent également de "symbolisme phonétique". En effet, les sons "bouba" ou "kiki" sont respectivement associés à des structures arrondies versus angulaires. Voir les travaux de Wolfgang Köhler, par exemple). Roman Jakobson parle de son côté de "motivation iconique".


Au Moyen-Âge, les signes sont de nature divine


Les philosophes, comme Saint Augustin ou Thomas d'Aquin, développent des réflexions sur le signe comme messager d'une nature divine. Saint Augustin dans "De Doctrina Christiana" (De la Doctrine chrétienne) reprend la distiction entre signes naturels et conventionnels (liés à l'intervention humaine). Mais il y ajoute une nuance supplémentaire : le "signum". De ce point de vue, les signes interprétés correctement peuvent permettre aux humains d'accéder à une connaissance plus profonde de Dieu. Les signes révèlent la présence de Dieu :


Dieu est bien vu, mais Il n’est vu que « de dos »11: Il est vu dans le sillage des signes qu’Il laisse sur son passage. Il revient alors aux créatures de faire l’effort de les interpréter. Et cette exigence s’inscrit dans l’humaine condition, dans son désir de Dieu. À cela fait écho la citation d’Yves Bonnefoy en exergue du livre : « Dieu, en effet ; ce qui excède le signe. […] C’est de ce qui transcende à jamais le signe, que naît le besoin de signe. » Tel est bien le diagnostic inaugural, en forme de programme herméneutique, qui guide toute la lecture. Source : note sur le livre de Vincent Giraud, Augustin, Les signes et la manifestation.

Au XIX ème siècle, le signe fait système


C'est l'arrivée de Ferdinand de Saussure qui fonde la linguistique moderne. Pour la première fois, la linguistique n'est plus diachronique mais synchronique. C'est-à-dire que pour la première fois, les mots ne sont plus analysés en fonction de leurs évolutions historiques et étymologiques mais en tant qu'élément d'un système photographié à T0. Ferdinand de Saussure est également le fondateur de la sémiologie. Il en donne cette définition :


« La langue est un système de signes exprimant des idées et, par là, comparable à l'écriture, l'alphabet des sourds-muets, aux rites symboliques, aux formes de politesse, aux signaux militaires, etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes. On peut donc concevoir une science qui étudie la vie des signes au sein de la vie sociale ; (...) nous la nommerons sémiologie (...). Elle nous apprendrait en quoi consistent les signes, quelles lois les régissent. » Source : Cours de Linguistique générale retranscrit (1916).

Pour approfondir l'évolution de la sémiologie avec des penseurs comme Roland Barthes, Michel Foucault ou encore Bourdieu, lisez cet article sur les meilleures théories du langage.


Typologie personnelle des signes


Je vous propose une "map" ou cartographie pour circuler dans les concepts qui m'ont le plus parlé en sémiologie, et qui résument bien ce qui vient d'être énoncé.


Nous avons deux visions opposées du monde :

  • Dans un cas, le sens pré-existe à l'Homme, il est transcendantal et de nature divine. C'est l'approche platonicienne et saint-augustinienne. Le sens est universel et mystérieux, les signes viennent le révéler lorsqu'ils sont correctement intérpréter, on peut parler de SÉMIOMYTHIE.

  • A l'inverse, le sens est immanent, uniquement créé par l'Homme dans un système conventionnel et arbitraire que l'on appelle "langage". L'Homme façonne le sens qui est dépendant du monde et de son expérience, tout en restant indépendant (puisqu'arbitraire). Il en est le démiurge. On peut parler de SÉMATURGIE.


Des visions plus nuancées du signe et du processus d'interprétation apparaissent :

  • On peut parler de SÉMAPHÉNOMÉNOLOGIE pour rendre compte de l'approche développée par Merleau-Ponty et d'autres : le sens naît d'abord dans et par le corps. Une approche validée par les dernières recherches neuroscientifiques. On pense notamment aux travaux de LeDoux et Damasio.

  • Pour Socrate, qui ne tranche pas entre une vision naturaliste (celle de Platon ou Saint-Augustin), et une vision linguistique du signe (celle de Saussure), le sens d'une chose ne réside pas dans son nom mais son essence. Je propose de parler de SÉMAPHYSIQUE ou SÉMESSENCE. Par exemple, appeler un cheval "cheval" ne nous dit rien sur ce qu'est réellement un cheval dans son essence. La connaissance véritable va au-delà des noms et cherche à comprendre les essences. Socrate voit les noms comme des outils qui, s'ils sont utilisés correctement, devraient aider à atteindre cette connaissance plus profonde.




Différentes visions et approches du signe et du processus d'interprétation

Plus récemment, l'analyse du signe est davantage comprise au sein d'un dispositif d'interactions. C'est notamment l'essor des Sciences de l'Information et de la Communication qui permettent ce regard :


  • Roland Barthes a été le grand penseur de la SÉMIOCLASTIE ou la sémiologie comme outil pour faire émerger les "idéologèmes" sous-jacents aux discours. La sémioclastie invite à la déconstruction et oblige à repenser l'aspect "naturel" et évident des discours. Il déclarera dans L'Aventure sémiologique :

(..) ce à quoi la Sémiologie doit s’attaquer, ce n’est plus seulement, comme aux temps des Mythologies, la bonne conscience petite-bourgeoise, c’est le système symbolique et sémantique de notre civilisation, dans son entier; c’est trop peu de vouloir changer des contenus, il faut surtout viser à fissurer le système m^me du sens  : sortir de l’enclos occidental, comme je l’ai postulé dans mon texte sur le Japon.

  • Le signe a une valeur idéologique et marchande. On parle de SÉMIOCAPITALISME. L'économie actuelle est basée sur la circulation des signes et des images, un capitalisme autant financier que cognitif (économie de l’attention) où les idées, et (surtout) les émotions, les affects et comportements sont devenus des produits.

    Le sens est déterminé par sa duplicabilité (ou sérialité).


Enfin, rappelons un fait évident : le bullshit est l’expression symptoma- tique d’une époque en perte de repères et de confiance, où la crédibilité et la légitimité des acteurs publics ont disparu. Cette société de défiance, la nôtre, est malade. Le bullshit est son langage délirant, fiévreux et patho- logique. Schizophrène ou névrosée ? Les deux mon général. Et le rôle des mots, mais surtout des images et de la publicité est capital dans cette gangrène. Nous sommes en plein « sémiocapitalisme », notion que l’on doit au chercheur Franco Berardi. Le terme décrit le rôle indispensable des signes et de la circulation des images dans l’économie actuelle, un capitalisme autant financier que cognitif (économie de l’attention) où les idées, et (surtout) les émotions, les affects et comportements sont devenus des produits. Le sens est déterminé par sa duplicabilité (ou sérialité). Source : Anti Bullshit p106.

Quand les signes ne parlent plus : cas d'école


Récemment, deux événements particuliers m'ont interpellée. Le premier, il s'agit de l'arrivée de Kate Middleton à Wimbledon. Une entrée marquée par une standing ovation du public. C'est en effet l'une de ses premières sorties en public depuis l'annonce de son cancer. L'autre événement c'est l'arrivée de l'athlète Simone Biles dont une revanche reste à prendre. En effet, la gymnaste avait déclaré forfait aux JO de Tokyo, suscitant une vaste polémique. Souffrant de "twisties", trouble physiologique entrainant la désorientation mais ayant une cause émotionnelle, Simone Biles avait préféré le retrait. Quel est le point en commun entre ces deux "cas" ?



D'un côté Kate Middleton à Wimbledon, de l'autre Simone Biles aux JO de Tokyo

Dans les deux cas, il me semble que les signes ne "signifient plus". Pour Kate Middleton, les symptômes de la maladie ne sont pas visibles : elle a le sourire, les cheveux longs, sa taille et la grâce qu'on lui connait habituellement. Dans le cas de Simone Biles, les critiques ont plu car il était difficile en tant que spectateur de comprendre son retrait : pas de fracture, pas de plainte, pas de cris, pas de chute.


Il me semble que lorsqu'on aborde la question des signes et de l'interprétation, on oublie de parler de l'absence des signes, ou pour le dire autrement, des signes par absence. Or c'est une vraie grille de lecture que tout linguiste ou sémiologue mobilise dans ses analyses.


La définition propre du signe c'est de signifier à la place de quelque chose d'autre. Mais ici, le signe n'est plus indiciel, ni même symbolique. Il est tout simplement absent, ce qui mène le plus souvent à une incompréhension. En tous les cas c'est sans doute une "limite" des travaux sémiotiques et philosophiques dans lesquels il ne peut y avoir de processus d'interprétation s'il n'y a pas de signes. Or dans le cas de Kate ou de Simone, il y a bien un "mal" / une "maladie" invisible. Et c'est ce décalage entre les signes visibles, qui eux portent la "bonne santé" et signes invisibles qui enrayent le processus d'interprétation. Une sorte de hiatus non "résolvable" par la sémiologie "classique".


En tous les cas, j'y vois la manifestation d'une tendance sociétale actuelle : la vie sans ! Aujourd'hui, un aliment se vend parce qu'il est SANS pesticide, SANS colorant ou SANS conservateur. Un produit cosmétique se valorise parce qu'il est SANS parabènes, SANS parfum ou SANS produit sensibilisant. En somme, nous nous définissons - et notre monde - davantage qu'hier par ce que nous ne sommes pas, par nos absences et manquements. Socrate aurait-il affirmé que notre essence et notre absence ?


Voilà, j'espère que ce petit tour d'horizon vous aura intéressé !











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