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Comment écrire un récit ? Les 5 étapes du storytelling à connaître

Dernière mise à jour : 6 janv. 2023

Quel est le point en commun entre une pub de lessive, un film Marvel et le discours de Bush ? Vous l'aurez compris, tous les trois mettent en scène une histoire (certes différente, et pourtant...) construite autour d'une structure commune. C'est ce que l'on appelle la trame narrative en sémiotique. Alors n'attendez plus avant de découvrir tous les ingrédients nécessaires et toutes les étapes pour une mise en récit percutante. Je partage ici avec vous mon expérience en tant que scénariste pour différentes marques (Société Générale, Astrazeneca, pour ne citer qu'elles...)


ÉTAPE N°1- Choisir les personnages : savoir qui fait quoi dans le récit


A- La trame narrative classique

Le linguiste Greimas s'est inspiré des travaux du folkloriste Vladimir Propp. Ce dernier s'est particulièrement intéressé à la morphologie des contes slaves. Il a démontré que des rôles incontournables étaient présents dans ces récits, tels des balises invisibles. Selon Greimas, 6 actants sont indispensables à toute histoire :

  1. Un Sujet ou Héros en Quête de quelque chose ;

  2. Ce quelque chose est l'Objet, qui peut représenter un être animé ou non animé, voire même une qualité ;

  3. Sur son chemin il va rencontrer un ou plusieurs ennemis, appelés Opposant.s. Ces derniers peuvent êtres des personnes, mais également des entraves plus symboliques voire abstraites ;

  4. Heureusement, un ou plusieurs Adjuvants vont pouvoir l'aiguiller dans son parcours ;

  5. Souvent, le Héros est "missionné" par un individu extérieur. C'est le Destinateur qui demande au Héros d'agir, il peut le guider dans sa Quête et dans ses choix. Dans les contes, c'est souvent la figure du Roi, voire du Magicien ;

  6. Enfin, les actions menées par le Sujet vont bénéficier à un ou plusieurs Destinataire.s.

Reprenons : il était une fois un prince (Héros), mentionné par le Roi du Royaume (Destinateur) à la conquête de l'Amour / d'une princesse (Objet). Arrivé en bas de la tour, il du combattre le méchant dragon vert (Opposant). Heureusement, il pu compter sur son épée magique (Adjuvant). Iels vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants. Tout le village (Destinataire) ayant ainsi pu bénéficier de ce bonheur patent.

Structure du schéma actanciel proposé par le linguiste Greimas

B- La trame un peu plus complexe de la pub ou des discours de com'

C'est la trame classique des contes, que l'on peut également retrouver dans les spots publicitaires, et même les discours politiques (Axe du Bien versus Axe du Mal, cela vous rappelle-t-il quelque chose ?)


D'ailleurs, pour rendre compte de cette mise en abîme - une marque qui raconte son histoire à travers son histoire - on peut imaginer la représentation suivante, telle que la préconise François Bobrie. Cette fois-ci, des distinctions sont opérées entre :

  • Enonciateur et Destinateur : le premier représente la marque ou l'entreprise, différent du Destinateur (voire Narrateur) du conte :

  • Enonciataire et Destinataire : le premier est la "cible" marketing, différent du bénéficiaire du récit ;

Par exemple : la marque Nutella est bien l'Enonciateur d'un récit qui met en scène une voix-off (souvent celle de la Mère, ici Destinateur) qui explicite les images autour du thème "comment ça se passe à l'heure du goûter ?". Le Destinataire est donc l'enfant mis en scène dans la publicité. Alors que l'Enonciataire est la personne qui va acheter le pot de Nutella.


Schéma actanciel revisité

Conclusion de l'Etape n°1

Avant de vous lancer dans un récit ou un discours, vous devez impérativement identifier les Actants, au travers de leur tempérament, qualités et pouvoir d'action.

ÉTAPE N°2- Dérouler les événements : organiser la syntaxe et mise en intrigue du récit


Il s'agit ici de mettre le récit en syntaxe, c'est-à-dire de l'organiser sous forme de séquences et d'actes.


A- Aller du Point A au Point B

Le déroulé temporel de l'histoire passe par 3 phases incontournables :

  1. La situation d'exposition qui correspond au DÉBUT de l'histoire. C'est le moment où l'on présente la situation initiale, et également tous les déséquilibres et frustrations de cette situation. La situation de départ doit être peu satisfaisante ;

  2. Le milieu de l'histoire raconte les péripéties rencontrées par le héros. Il s'agit de toutes les épreuves physiques ou morales, qui font à la fois appel aux Compétences du héros (savoir-faire et/ou savoir-être), et nécessite de sa part de Performer, de se dépasser (savoir-faire) ;

  3. La situation finale contient le dénouement et la reconnaissance du Héros avec son nouveau statut. C'est le stade de la résolution. Elle est toujours satisfaisante et permet de retrouver le point d'équilibre qui n'était pas présent initialement.


B- Mettre du rythme : faire sonner son récit

Ce cheminement du point A au point B ne saurait se faire de manière monotone, c'est-à-dire sans rythme, ou plus précisément, sans changement de rythme. Deux astuces à retenir :

  1. C'est le contraste qui permet de garder vos auditeurs ou lecteurs en éveil ! D'où le modèle "Escalier" ci-dessous ;

  2. Concernant les effets de mémorisation, il y a trois moments à privilégier, que ce soit dans un récit ou une présentation orale (pitch) :

    1. Des premières minutes captivantes : c'est l'effet de primauté, biais cognitif qui nous rend particulièrement sensible aux premiers instants ;

    2. Un moment "STAR", c'est-à-dire un moment fort et percutant, souvent au milieu de la présentation / récit. C'est un moment, une expérience, qui doit sortir de l'ordinaire ;

    3. Le climax doit-être atteint à la fin : c'est l'effet de récense, autre biais cognitif qui nous rend particulièrement sensible aux derniers instants,


Rythme narratif et paradigme de Syd Field

Conclusion de l'Etape n°2

Il ne suffit pas d'imaginer les rôles (ou actants), mais bien de créer une Aventure, c'est-à-dire une syntaxe motivante, où le contraste est roi, tant sur la forme que le fond.


ÉTAPES N°3- Aller dans les profondeurs : résonner avec son public (et parler à l'âme...)


Qu'est-ce que le storytelling ?

Le storytelling est la mise en récit, ou histoire, d'événements, à travers des personnages et des événements, dans le but de rendre le message mémorable et impactant. Le storytelling est avant tout fondé sur des structures narratives invisibles mais néanmoins présentes, dont certaines ont été mentionnées ci-dessus. Le sémiologue, en particulier, aime à faire émerger ces représentations sous-jacentes.


Qu'est-ce qu'un récit initiatique ?

Le storytelling se décline en plusieurs trames scenaristiques possibles. La plupart du temps, c'est le récit initiatique qui est le plus impactant. Je vous laisse découvrir cet extrait de mon ouvrage Anti Bullshit qui revient sur le Parcours du héros :


L’ouvrage de Joseph Campbell, Le Héros aux mille et un visages24, a connu un succès retentissant. Inspiré par Jung, le mythologue a réussi à faire émerger la structure sous-jacente des récits initiatiques. Ce schéma narratif, désormais canonique, nous rappelle que le cheminement héroïque se fait par étapes.Voici celles qui me semblent les plus importantes à synthétiser. Elles se rapprochent du schéma narratif proposé par le linguiste Algirdas Julien Greimas.
C’est également ce schéma qui a guidé de nombreux romanciers dans l’écriture de leurs ouvrages. La première étape est celle de la description du « monde ordinaire ». Monde dans lequel le « héros » n’est pas totalement épanoui. Il lui manque quelque chose, mais il ne sait pas quoi. Puis survient un événement imprévu qui remet en cause le réel. Notre héros ne peut plus faire comme si de rien n’était. Le retour en arrière est impossible. C’est l’appel à l’aventure. Notre héros va partir en « quête » de quelque chose. Sur sa route, il va être confronté à diverses situations. Ces épreuves vont lui permettre de développer ses qualités, tout en pre- nant conscience de ses faiblesses. Mais l’épreuve ultime est celle de la mort symbolique. Le héros est obligé de quitter son « ancien Soi » avec ses repères et ses croyances. C’est au prix de cette nouvelle connais- sance de lui-même (découverte d’un nouveau Soi), qu’il peut renaître. S’ensuit une phase de rédemption et de résolution des conflits antérieurs. Généralement, la dernière étape est celle de la sanction, souvent positive, qui se caractérise par une reconnaissance collective et publique du caractère héroïque de notre personnage.

Voici une infographie qui reprend les étapes du récit initiatique, couplé à la notion d'Actes présentée précédemment.


Le voyage du héros de Joseph Campbell en Actes

Conclusion de l'Etape n°3

Aller sur la structure d'un récit initiatique, c'est "parler à l'âme"... Allez chercher du côté des mythes pour vous inspirer. Le storytelling est mort, vive le mythe fondateur !


ÉTAPE n°4- Parler à nos 3 cerveaux (pour parler à tout le monde)

"Les 3 H" est un outil créatif, souvent utilisé dans les récits. Il renvoie à un point de vigilance. Tout bon récit se conjugue en 3 temps :

  • Le temps rationnel de notre Tête (Head) : c'est l'approche logique, voire chiffrée du récit ;

  • Le temps émotionnel de notre Coeur (Heart) : c'est l'approche intuitive, non rationnelle, instinctive du récit ;

  • Le temps expérientiel de notre Main (Hand) : c'est l'approche concrète, nourrie du réel, et des expériences.

J'aime à garder en tête ces 3 aspects qui permettent de faire du lien avec son public. D'ailleurs, selon nos préférences comportementales, nous sommes encore plus sensible à l'un de ces 3 aspects.


Head, Heart, Hand : les 3 H pour parler à tout le monde


ÉTAPE N°5- Prenez garde au storytelling bullshit !

Je ne vais pas reprendre ici les 270 pages que j'ai consacrées à ce sujet. Mais tout de même : le bullshit, c'est le fléau de notre société. Il me semble que les entreprises qui se lancent dans un processus narratif doivent garder une certaine éthique. Voici un autre extrait de Anti Bullshit :

La plupart du temps, le storytelling est l’un des outils privilégiés du bullshitter. Phénomène d’autant plus frappant dans le domaine politique où la propagande est devenue marketing. Selon Christian Salmon, les stratégies politiques contemporaines s’apparentent à des campagnes de marketing visant à formater les esprits. Autrement dit, la finalité n’est plus simplement de propager une croyance pour modifier les comportements, mais de pénétrer en profondeur les esprits pour en changer les modes de raisonnement, la culture et les idéologies. Pour autant, puisque le récit est lié à notre humanité, le but de cet ouvrage est justement de transmettre les outils pour un storytelling éthique et respectueux des hommes. Roland Barthes nous le rappelle : « Le récit est présent dans tous les temps, dans tous les lieux, dans toutes les sociétés ; le récit commence avec l’histoire même de l’humanité ; il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit (...). Le récit est là comme la vie. » Le rôle du récit est aussi – et surtout – cathartique et transformationnel.
En définitive, le storytelling contient une forme de noblesse lorsqu’il se fait maïeutique. Le récit mythologique est aussi là pour révéler l’âme individuelle et collec- tive. Il est dévoyé lorsqu’il est utilisé sans conscience, simplement pour jouer avec les émotions et les représentations.

Etude de Cas : l'écologie


Créer un récit commun, ce que n'ont pas réussi à faire les écologistes

Devant l'enjeu de la "Transition" qui nous attend, il semble important de pouvoir désormais construire un discours collectif et commun autour des notions de Nature et d'Ecologie. C'est d'ailleurs ce que proposait le philosophe Bruno Latour dans son Mémo sur la nouvelle classe écologique.


Concrètement, quelques suggestions...

Voici ce qui devrait nous inspirer pour l'écriture / enrichissement de cette mythologie Gaïa :

▶️ traduire les besoins de la Terre dans un langage commun avec notre langage humain > nous sommes bien dans des processus de traduction de signes pour en faire émerger un sens commun ;

▶️ appréhender les signes et manifestations comme des indices et des intentions > sécheresses et inondations sont une expression, parmi d'autres, de besoins et constituent une grammaire du dérèglement ;

▶️ la Nature / la Terre devient ainsi un Sujet, (un Actant dit-on en sémiotique), disposant de ses propres modalités (pouvoir, vouloir...) et valeurs ;

▶️ La Nature et la Terre, en ayant acquis le statut de personne juridique accèdent ainsi à des Droits (et des devoirs ? Vaste question...). Les arbres deviennent ainsi des "sujets", des "individus", des "personnalités".

▶️ En quittant son statut d'Objet inanimé, la Terre devient le Héros (ou Actant principal) d'une fiction collective, ou trame narrative commune.

▶️ Il reste encore toute une Mythologie de la Nature à fonder, dans un langage symbolique


L'enjeu de la prochaine décennie sera l'écriture de cette nouvelle Mythologie. Une approche défendue par Camille de Toledo dans cette belle interview France Culture :




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