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La fusion-acquisition (ou Fusac) : un enjeu symbolique pour les entreprises (et leurs marques)

De quoi la fusion-acquisition est-elle le nom ?

En cette rentrée 2022, j'ai envie d'aborder ce thème qui reste d'actualité - malgré la crise des marchés financiers : la fusion-acquisition, autrement appelée "Fusac". En langue anglaise, on parle de M&A, un acronyme pour mergers and acquisitions. Si les deux termes "fusion" et "acquisition" sont mis sur le même niveau, les réalités diffèrent.


On parle de "fusion" lorsque deux entités, à peu près identiques, fusionnent aussi bien en interne (services d'une même compagnie, par ex les branches CIB et Bp2S de BNP Paribas) qu'en externe (ex. Arcelor et Mittal, Peugeot et Citroën...). Dans "l'acquisition", on est davantage dans le "gros qui absorbe le petit" (ex. dans la vidéo ci-dessous Octo repris par Accenture).


Ce qui devient passionnant pour le sémiologue, c'est la nécessité de créer un langage commun. Qu'il s'agisse d'une fusion ou d'une acquisition, les groupes d'individus nouvellement formés n'ont pas le même passé / vécu, pas les mêmes valeurs, pas les mêmes "manières de faire". C'est là que naissent, parfois pour ne pas dire souvent, les quiproquos, les tensions et même les conflits.


Comment co-construire des valeurs communes ?

Pas de discours cohérent, pertinent et rassembleur sans au préalable un diagnostic sémiologique. Ce dernier va porter sur les signes et symboles utilisés dans la communication interne (éditos, organigrammes, espaces de travail...) et externe (publicités, sites internet, etc.).


Cette étape se réalise dans trois temporalités complémentaires :

  1. Une temporalité passée : il s'agit d'un travail d'archives pour faire émerger la mémoire de chacune des deux entités en fusion ou acquisition. Cette plongée dans le capital immatériel des entreprises est un indispensable pour toucher au socle identitaire et à la raison d'être des entreprises ;

  2. Une temporalité présente : par exemple, sous la forme d'ateliers ou d'entretiens de personnes-référentes pour croiser les points de vue et les enjeux sous-jacents à la fusion ou acquisition. Il s'agit de faire émerger les représentations à l'oeuvre, explicites et implicites, dites et non-dites, avouables ou non ;

  3. Une temporalité future : en déclinant un positionnement stratégique autour d'un mythe fondateur commun. Comme le rappel Edgar Morin, le "muthos" accompagne le "logos". Autrement dit, pas de pensée humaine sans :

    1. d'un coté ce qui explique, analyse et distingue (la pensée rationnelle)

    2. de l'autre ce qui fédère et porte du Sens (la pensée symbolique)

Trop souvent, les entreprises et les marques se contentent de tracer des stratégies économiques, rationnelles, et purement intéressées. Or, les entreprises sont avant tout un groupement d'individus. Il est donc nécessaire de prendre en compte ce qui fait du Sens et nourri Homo Sapiens, à savoir, l'appartenance à un groupe légitime et partageant des valeurs communes. Ces valeurs ne tombent pas du ciel. Elles sont parfois conscientisées (mots affichés et revendiqués), et parfois inconscientes (comportements encouragés). En tous les cas, un oeil extérieur est souvent nécessaire dans cette prise de conscience.


Le plus grand risque se situe au niveau des comportements

Qu'est-ce qui fait qu'une fusion-acquisition réussit ou non ? Les chiffres, la perspicacité du PDG, le CODIR, les investissements, les innovations. Oui. Mais mon focus se situe davantage sur ce qu'on oublie : les comportements (officiels et officieux). Je reprends la même question, à l'envers ; qu'est-ce qui fait qu'une fusion-acquisition échoue ? Les comportements "toxiques", parfois tolérés voire encouragés.


Je me permets de partager avec vous cet extrait de mon futur livre (sortie prévue en mars 2023), pour vous sensibiliser aux effets délétères des comportements désinvoltes en entreprise. Je ne parle même pas ici des comportements toxiques (harcèlement, perversion, etc.).


"Je vous la fait courte. Dans son dernier livre, le fondateur de Netflix explique la taâche ardue qui s’est imposée à lui : pour survivre, il a du renvoyer massivement une partie de ses employés. 30% des effectifs ont vidé les lieux. Niveau moral, pas terrible. Erin Meyer s’est même mis à douter... peut-être a-t-il fait la plus grosse erreur de sa carrière ? Comment surmonter la crise avec tous ces effectifs en moins ? Pourtant, une chose surprenante s’est produite... Il avait bien demandé aux RH de ne garder que les plus motivés. Est-ce pour cela qu’il a réussi à augmenter sa productivité ? Lui qui pensait s’effondrer, a vue son chiffres d’affaires grimper ! C’est l’illustration d’un phénomène anthropologique et psychologique bien connu : la performance (bonne ou mauvaise) est contagieuse. Comme la connerie (toujours mauvaise...) ! Plus intéressant encore, Meyer a eu la brillante idée de demander à un professeur australien de pousser l’enquête. Il s’agit de Will Felps. Elle a pris son groupe d’étudiants, qu’elle a divisé en deux. Le premier reste intact. Le second est truqué. Dans chaque groupe composé de 4 étudiants, il y un acteur. Ce dernier doit se comporter comme un imbécile, un fainéant ou un pessimiste. Vous reconnaissez le portrait ? Pour être sûr que l’acteur joue bien son rôle de con, il est rémunéré 100 $ les 45 minutes. De quoi motiver... Et quel va être le résultat, d’après vous ? Comme vous vous en doutez, le premier groupe va être davantage productif, créatif et performant. Quid du second ? Légèrement moins bons... 1/4 moins bons exactement ? Ce n’est pas vraiment ce qui se passe... Les imbéciles du second groupe ont affecté de manière drastique les performances de ceux qui été, initialement, créatifs et intelligents. Quand je vous disais que la connerie était contagieuse, la désinvolture aussi ! C’est pour cela que je suis toujours surprise lorsque je croise des dirigeants, toujours prompts à défendre et trouver milles excuses aux salariés toxiques de leur entreprise. Ils ne se rendent pas compte des dommages psychologiques et de la manière dont les autres sont bafoués et trainés vers le bas (...)

Il est donc nécessaire, dès le début de la fusion-acquisition de verbaliser et expliciter les comportements attendus, notamment au niveau managérial. Mais pas que ! Parlons mots et langage. Que se passe-t-il lorsque deux groupes d'individus se rencontrent ? Il y a nécessairement un temps d'adaptation. C'est le temps de l'acquisition d'un nouveau langage commun : parler les mêmes mots (lexique commun), se comporter de la "bonne" manière (comportement attendu), se fédérer autour d'un récit signifiant (mythe fondateur). Malheureusement, ce n'est pas toujours le cas.


De l'éthique ou du combat pour porter ses valeurs ?


Etude de cas : Ben & Jerry's

J'aimerais maintenant aborder un cas un peu particulier. Très en lien avec les notions de valeurs et comportements abordés jusqu'ici. Comme vous le savez sans doute, le groupe Unilever à racheté la société Ben&Jerry's en 2000. Cette dernière a toujours été engagée politiquement : lait auprès de fermes familiales du Vermont, commerce équitable, politique de modération salariale, fondation caritative, etc. Elle avait d'ailleurs fait parler d'elle en prenant position pour le mouvement Black Lives Matters.


Ben Cohen et Jerry Greenfield, pères fondateurs de la marque Ben & Jerry's

Vous le comprenez, si la boîte a bien été rachetée, les deux septuagénaires gardent un oeil sur l'entreprise. Sans pouvoir de décision, ils ont toutefois imposé le maintien d'un conseil d'administration indépendant, pleinement engagé dans les causes progressistes. En 2021, celui-ci déclare : "Nous pensons qu'il n'est pas compatible avec nos valeurs que les glaces Ben & Jerry's soient vendues dans les territoires palestiniens occupés". Cette déclaration a montré le hiatus entre la maison-mère Unilever et sa filiale.


Dernièrement, en juin 2022, la filiale Ben & Jerry's basée dans le Vermont (USA) a intenté une action civile devant le tribunal du district sud de New York contre Conopco, la succursale américaine la plus importante d’Unilever. Ce que reproche les fondateurs ? Un accord d’acquisition non respecté à cause de la distribution et vente de la crème en Cisjordanie, malgré la demande et déclaration explicite du conseil d’administration de Ben & Jerry’s d'y cesser le contrat. Ce qui a fait hurler certains représentants israéliens, dont le Premier Ministre Naftali Bennett, très mécontent de cette prise de position. Les pères fondateurs ont même été accusés d'anti-sémitisme...


Des valeurs communes absentes, un récit inexistant : comment sortir du conflit ?

Vous le voyez, le décalage au niveau des valeurs peu aller très loin. On peut tenter de le modéliser par l'échelle suivante :

  • Au mieux, il y a une culture d'entreprise escamotée par quelques comportements désinvoltes, avec à la clef des transferts et changements de poste de ceux qui les subissent.

  • Au pire, il y a des décès à cause de comportements toxiques, parfois encouragés . A ce sujet, lire le très bon ouvrage "Personne ne sort les fusils" pour revenir sur le procès et les éléments de langage utilisés pour évoquer les méthodes managériales lors du changement France Telecom / Orange.

  • Entre les deux, il y a un combat juridique, avec deux visions du monde différentes, portées par des convictions non conciliables.

Avant d'en arriver là, il peut être judicieux de comprendre ce qui vous rassemble, les archétypes sous-jacents, les symboles qui vous animent et le récit qui vous fédère. En somme, le souffle de vie qui vous incarne. Par ailleurs, je termine sur cette note positive : le conflit est certes inhérent et constitutif des relations humaines, comme le rappellent les chercheurs Tomas & Kilmann. Mais tout conflit surmonté augmente les liens de loyauté entre les individus ! N'est-ce pas une très bonne nouvelle ?

Thomas & Kilmann partagent leur vision du conflit

En tous les cas, je ne me lasse pas de partager leur modèle. Il est particulièrement pertinent, notamment sur les dynamiques relationnelles en situation de négociation. Contactez-moi pour en savoir davantage.


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