Pourquoi avoir une identité verbale (ou "verbal branding") ? Pourquoi choisir ses mots ?
Pour répondre à cette question, j'aime à me rappeler de cet échange entre Alice et Humpty Dumpty :
« Quand j'utilise un mot, dit Humpty Dumpty avec un certain mépris, il signifie exactement ce que j'ai décidé qu'il signifie, ni plus, ni moins » ; à l'objection d'Alice qui demande si on peut donner autant de sens différents à un mot, Humpty Dumpty répond « la question est de savoir qui est le maître - c'est tout »
Cette vision "autoritaire" du langage est sans doute ce qui faisait dire à ROLAND BARTHES : "la langue est fasciste". Sans entrer dans le détail de cette vision linguistique - que je développe dans le 3e chapitre d' Anti Bullshit "au commencement était Donald Trump" - il existe un équilibre nécessaire à la vitalité de la langue.
D'un côté, la langue doit-être commune pour fédérer : on utilise les mêmes mots pour se faire comprendre les uns les autres, c'est également ce qui définit une communauté linguistique.
De l'autre côté, l'utilisation des mêmes mots de manière redondante nous embarque vers une certaine novlangue, telle que la dépeint Orwell, c'est-à-dire que les mots deviennent des "mots zombies", les discours perdent de leur souffle et la communication de son incarnation. C'est l'ère du bullshit comme fait social, et de la langue de bois comme structure langagière.
C'est tout l'enjeu actuel pour les marques et les entreprises, de veiller à ce juste équilibre entre les mots "placardés" de manière ornementale sur les murs, ceux "utilisés" en externe comme "éléments de langage", et ceux purement identitaires.
Identité verbale ou "verbal branding" : et si on en parlait ?
De manière très connue pour les communicants, la question de l'identité visuelle ou identité graphique d'une marque est au centre des préoccupations. C'est notamment la plateforme de marque qui va permettre, entre autres, son accouchement. Les couleurs, les formes, les signes vont être mis en scène de manière pour porter les valeurs, l'activité et les ambitions de la marque ou de l'entreprise. L'identité graphique est codifiée et formalisée dans une charte graphique qui précise les modalités de représentation du logo ou de l'insigne de l'entité. Afin de compléter l'identité visuelle, l'identité sonore est souvent ajoutée. Quid alors de cette identité verbale ou de la charte sémantique, cette fois, dont on parle si peu ?
L'identité verbale est à la fois un enjeu :
linguistique : une marque ça communique énormément ;
social : pour fédérer et "faire tribu";
axiologique : construire des discours porteurs de valeurs ;
philosophique : proposer une vision ayant du sens sur le monde ;
marketing : créer de la différenciation dans un univers concurrentiel ;
voire politique / sociétal : la marque est dite "engagée" car à travers les mots, elle s'engage à améliorer le "bien commun"
performatif : "quand dire, c'est faire" (pour reprendre les termes d'Austin), ce qui revient à dire qu'une marque ne peut utiliser les mots "impunément" car ils ont a minima une incidence sur le réel.
Le manifeste : de l'engagement à la politique
Quand les marques font de la politique
La question du "politique" concernant le discours de marque reste complexe. Dans un environnement commun et laïc, par définition en France, il semble périlleux qu'une marque s'inscrive dans un discours politique. Pour autant, force est de constater que c'est dans l'ère du temps : est-ce un trait de la post-modernité ? Citons quelques exemples français, comme Décathlon et le hidjab de running, la famille gay et lesbienne défendue par Petit Bateau, l'écriture inclusive prônée chez Google, le tweet d'Evian qui a fait polémique en période de ramadan. Les marques s'engagent. Elles sont même vouées à devenir politiques.
Le manifeste : une déclaration tant descriptive qu'aspirationnelle
Le manifeste se comprend dans deux acceptions contradictoires qu'il réunit pour autant :
Les premières occurrences du latin "manifestus" appartiennent au vocabulaire théologique : c'est la manifestation du divin, ce qui est manifeste ;
en français modernes, le terme "manifeste" renvoie à une activité de contrôle pratiquée par les douanes : il s'agit de décrire le contenu marchand de la cargaison.
On retrouve donc dans le manifeste ces deux dimensions complémentaires : à la fois terre-à-terre et descriptif, mais aussi aspirationnel et au-delà du commun.
Il faut attendre le 16ème siècle pour que le terme "manifeste" prenne la connotation de "déclaration", voire de "pétition."
Le manifeste, une manière de se battre
C'est principalement au 17è siècle que le terme se diversifie et s'applique dans différents usages : à la fois journalistique (le célèbre "j'accuse"), et artistique (le fameux "Dada soulève tout"), par exemple.
Actuellement, le manifeste de marque !
Aujourd'hui, les marques mettent en avant leur engagement à travers des mots qui les rassemblent et leur ressemblent (si le job est bien fait ;) Le manifeste porte leur conviction. Voici quelques exemples :
Le manifeste de Nike
Le manifeste de Pantagonia, entreprise à mission
Et une surprise... notre manifeste pour une utilisation a propos du langage ;)
Vous l'aurez compris, le manifeste est une boussole : il permet de rester aligné avec ses valeurs et de les partager de manière visible et lisible. En effet, le manifeste n'est pas q'un contenu, c'est aussi un contenant, c'est-à-dire un jeu de typographies et de formes.
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