C'est tout de même une problématique de notre époque. Je mets volontairement de côté la dimension politique de la langue et vous épargne un discours militant. Il s'agit plutôt pour moi de partager avec vous les différentes tournures de phrase qui portent ces valeurs de respect et d'inclusion, au sens large (de la différence des sexes au handicap). Écrire à l'heure de la post-modernité, c'est aussi prendre en compte le changement de paradigmes actuels. Nous sommes ainsi passés de la Loi des Pères, comme le dit le sociologue Michel Maffesoli, à la Loi des Frères (et j'ajouterais des Soeurs...). Si ces impacts sémantiques se font moins "sentir" à l'échelle individuelle, ils sont un enjeu majeur pour les entreprises (dans un cadre juridico-legislatif de surcroit).
Le langage de l'accessibilité et de la simplicité pour tout le monde
La méthode FALC : Facile à lire, facile à écrire
Connaissiez-vous cet acronyme ? En partie fondée sur les sciences comportementales, la méthode prône l'accessibilité du discours. Les organismes gouvernementaux, à échelle internationale, sont invités à adapter cette nouvelle sémantique. Il s'agit en effet de lutter contre "la phobie administrative".
Quelques exemples du parler FALC
D'un point de vue syntaxique, on préférera :
les tournures actives plutôt que passive, on dira plutôt "Nous vous demandons de (...) ou ("vous devez envoyer (...)", que "il a été demandé de (...)" ou "une demande doit être envoyée (...)" ;
les phrases courtes plutôt qu'alambiquées (façon langue de bois) :
les tournures positives plutôt que négatives (ex. : préférer « Vous devriez rester jusqu’à la fin de la réunion » plutôt que « Vous ne devriez pas partir avant la fin de la réunion ») ;
D'un point de vue sémantique, on oubliera :
les mots trop spécifiques, liés à un métier : le Droit par exemple, regorge de termes en latin. On utilisera des synonymes davantage communs. Par exemple, "document" plutôt que "récépissé" ;
les abréviations et les acronymes, selon connus par les initiés mais peu lisibles pour les néophytes ;
En s'inspirant des sciences comportementales et du nudge :
On joue sur la norme sociale : "vous consommez plus que la plupart des habitants" permet une subtile remise en cause...
On favorise l'engagement : à travers des questions ("le saviez-vous ?", rubrique "comment faire ?"), voire un quiz ou tout autre interaction qui permet une responsabilisation de l'auditoire.
Langage neutre / épicène, agentic ou communal ?
Comment obtenir 42% de propositions de recrutement en plus ?
Fait étonnant, que reprend l'infographie ci-dessous, les offres d'emploi rédigées dans un genre neutre obtiennent plus de réponses ! Cela est assez notable comme effet, d'autant plus que le phénomène est inconscient de la part du répondant.
Creusons un peu... Ce que l'on appelle ici "langage neutre", correspond au fait de ne pas accentuer les représentations de genre entre un féminin qui serait plutôt "passif" ou dans le "care", et un masculin qui serait davantage dans "l'action" et le "succès".
Plus précisément, il s'agirait même de favoriser les tournures "asexuées", du type "veuillez envoyer votre CV à (...)", plutôt que "le candidat doit envoyer son CV à (...)". Voici d'autres exemples :
A noter qu'en tant que linguiste, je m'interroge tout de même sur l'effacement de l'individu (et donc de sa responsabilité ?) face à un supra-collectif qui est davantage désincarné. Loin de résoudre ce débat sur l'abstraction généralisée de la langue (quasi orwéilenne), je partage surtout ici les pratiques émergentes observables et recommandées par les Institutions.
Vous êtes plutôt agentic ou communal ?
Ces mots là ne vous sont sans doute pas familiers. Ils sont américains et peinent à être traduits en langue française. Ils sont d'ailleurs peu utilisés. Le langage agentic et communal reflète deux orientations distinctes dans la communication, souvent discutées dans le contexte des études sociales et psychologiques. Ces orientations ne sont pas seulement cruciales dans les interactions interpersonnelles, mais jouent également un rôle significatif dans la formation des perceptions dans divers domaines, y compris le leadership, les études de genre et le comportement organisationnel.
Voici la définition que nous pourrions proposer :
Le langage AGENTIC : se caractérise par l'assertivité, l'indépendance et un accent sur les réalisations et capacités individuelles. Il met en évidence des qualités telles que la confiance en soi, l'ambition et le contrôle. Le langage agentic est souvent associé à des traits stéréotypiquement masculins et est fréquemment observé dans des contextes où le leadership, la décisivité et la compétitivité sont valorisés. Au niveau du discours, le langage agentic s'observe à travers l'utilisation de la voix active, des déclarations directes et des références aux réalisations ou capacités personnelles.
Le langage COMMUNAL : À l'opposé, le langage communal souligne la connectivité, les relations et le bien-être du groupe ou de la communauté. Il est marqué par une orientation vers la coopération, l'empathie et des comportements bienveillants. Le langage communal inclut souvent des expressions de soutien, de compréhension mutuelle et de préoccupation pour les besoins des autres. Il est stéréotypiquement associé à des traits féminins et est valorisé dans des contextes qui privilégient le travail d'équipe, la collaboration et l'intelligence émotionnelle. Linguistiquement, le langage communal peut être reconnu par son focus sur les expériences collectives, l'utilisation de pronoms inclusifs ("nous" par excellence) et des expressions qui favorisent les liens relationnels.
Un wording spécifique entre langue agentique et communale
Ces nuages de mots-clefs sont en anglais mais ils vous donnent une idée de la différence de champs sémantiques :
Vous le constatez, le wording agentic est "self-oriented", On y retrouve de préférence les mots de "responsabilité", "connaissances", "opportunités", et de "succès". Les verbes sont davantage orientés vers le "faire" et l'"action", voire le besoin. On retrouve également les notions de "compétences", et le pronom personnel "tu / vous".
Le wording communal est davantage "other-oriented". Les mots valorisés sont plutôt ceux de la "relation", de la "communication", de "l'échange", du "service", voire de "l'assistance". L'équipe est valorisée (plutôt que l'individu). Les aspects liés à "l'éducation", à la "négociation" et aux "partenariats" sont très présents. Logiquement, c'est le pronom personnel "nous" qui prime. Les compétences personnelles
À quoi ça sert ? Pourquoi "parler le communal" ?
Vous pourriez me dire que cela est sans impact... Je ne vous rappellerais pas ici la "lutte" entre constructivistes et naturalistes, vous pouvez lire cet article sur les théories pour vous rafraichir la mémoire. Mais sachez que le point de vue du linguiste émet souvent un lien entre perception du monde et langage. D'ailleurs, des études démontrent le lien entre :
la moindre présentation des femmes aux postes d'entreprise décrit en langage agentic, c-à-d correspondant plutôt à des représentations masculines :
l'inverse n'est pas vrai : les hommes se présentent autant aux offres d'annonce rédigées en langue agentique ou communale.
Cela s'expliquerait par le fait que les femmes, étant davantage conscientes de leur genre, perçoivent et réagissent distinctement aux imaginaires genrés. (Source : Marise Ph. Born & Toon W. Taris (2010) The Impact of the Wording of Employment Advertisements on Students' Inclination to Apply for a Job, The Journal of Social Psychology.)
Il s'agit donc dans ce cas d'aller plus loin que le langage neutre, puisqu'on active volontairement un univers plus "féminin" que "masculin" avec un wording plus collaboratif.
La langue de l'inclusion en général se décline sur la religion, le genre voire la nationalité
Le site Witty Works est en anglais, mais explique bien les enjeux de ce langage inclusif. Nous vous en montrons quelques exemples. Il s'agit ici de prêter attention aux généralisations et stéréotypes, qui pourraient être vécus comme des stigmatisations.
Eviter les exemples ou tournures stéréotypées
Proscrire les expressions connotées négativement
Être vigilant concernant les généralisations
50 nuances d'écriture inclusive : un focus sur la place des femmes en langue
Prendre conscience des phénomènes de distorsion
Il peut être intéressant de se pencher sur la façon dont langue et imaginaires sont liés. Je vous invite à prendre quelques instants pour mesurer les effets produits par ses différences :
un courtisan / une courtisane : le premier est un conseiller, la seconde écarte les cuisses...
un coureur / une coureuse : le premier fait le marathon, la seconde pareille que la première...
un professionnel / une professionnelle : le premier est très intelligent, la seconde fait le trottoir... Un entraineur / une entraîneuse, une masseur / une masseuse, les exemples sont nombreux, ma préférée étant la suivante :
un homme facile / une femme facile : le premier est facile à vivre, la seconde écarte encore les cuisses.
Le féminin est ainsi lié en langue à un imaginaire fortement sexuel. Pour avoir d'autres exemples, vous pouvez lire cet article du Figaro.
Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, c'est bien d'en prendre conscience. Selon Françoise Héritier « la différence des sexes est le butoir ultime de la pensée » :
« Il s’agit de débusquer dans les représentations propres à chaque société les éléments invariants dont l’agencement bien que prenant les formes diverses selon les groupes humains, se traduit toujours par une inégalité considérée comme allant de soi, naturelle (...) et ne sont pas des phénomènes à valeur universelle générés par une nature biologique commune mais bien des constructions culturelles ».
De là à vouloir modifier la morpho-syntaxe de notre langue, il n'y a qu'un pas. Je vous propose d'écouter ce débat. J'y cite de nombreuses études, dont certaines montrent l'influence du "masculin générique" en termes de représentations :
Variations de l'écriture inclusive
Va-ton désormais parler de toustes (pour tous et toutes), de elleux (pour elle et eux), ou encore de celleux (pour celles et ceux ?), ou iel ? On comprend que la question fasse débat puisque c'est la structure même de la langue qui est modifiée.
Notons à cet égard les différents usages (et assez différents) de l'écriture inclusive :
l'inclusion par ajout : "chers concitoyens, chères concitoyennes". On double les mots du discours pour reprendre à la fois le masculin et le féminin ;
le fameux point médian : "cher.e.s concitoyen.ne.s". Le point (qui typographiquement peut-être un ., un tiret - ou un rond ‧) évite la redondance des mots mais peut ralentir un peu la lecture d'un texte ;
Voici une illustration proposée par la graphiste Loraine Furter, membre de la collective Bye Bye Binary :
Petite curiosité ou quand l'écriture devient de l'art : je vous invite à découvrir ce travail typographique de Tristan Bartolini :
Pour conclure, je partage quelques observations très intéressantes que l'on retrouve dans les Cahiers du genre :
les débats médiatiques se sont toujours concentrés sur La France, occultant les mêmes débats langagiers au Brésil, en Suède et au Canada, par ex. > Ce focus franco-français ne nous empêche de percevoir la parallèle changement de langue / évolution des démocraties actuelles ;
en France, encore plus fortement qu'ailleurs, le débat n'a généralement jamais été traité ou initié par des spécialistes du langage (au contraire, réf. Abbou et al, 2018) > le débat se situe bien à un niveau symbolique ;
à un niveau symbolique, il s'agit bien de réaffirmer qui détient le pouvoir, qui décide, qui normalise la langue. Ici, la centralisation des pouvoirs est concomitante avec une langue normative imposée d'en haut ;
les transformations de la langue serait "laides", entretenant le mythe d'une seule et même langue immuable, autrefois universellement célébrée pour sa "beauté" et sa "supériorité" ;
les arguments avancés, souvent ad hominem, on davantage consisté à rabaisser les femmes plutôt que leurs arguments : "« Tranchons entre recteuse, rectrice et rectale » (Marc Fumaroli de l’Académie française), « Dans les vingt ou vingt-cinq dernières années, j’ai vu naître, devançant la commission, un petit nombre de féminins auxquels on ne pensait pas et dont on ne peut plus se passer. Ainsi, l’admirable substantif “conne” » (Georges Dumézil), etc. > la grossierté est un pattern qui sert souvent à délégitimer les revendications, notamment des femmes, et ce, dans plein d'autres domaines.
Mes conseils en tant que linguiste (et ma pratique)
Comme je vous le disais, et pour ceux qui me connaisse, je ne suis pas une "aficionada" de l'écriture inclusive. Parfois je l'utilise, parfois non. Cela dépend aussi des contextes : n'oublions pas à ce titre l'importance de la dimension pragmatique de la langue. Je peux l'utiliser pour rappeler que la langue n'est pas neutre, ou pour "forcer" à la prise en compte de l'altérité. En revanche, j'utilise très peu le point médian. Il me semble trop connoté politiquement, et surtout il complique la lisibilité ! Déjà que ce n'est pas simple de rendre accessible les sciences du langage ou la linguistique...
Enfin, et surtout, afin de favoriser le travail algorithmique de Google, il est peu probable que je féminise mes activités. Spontanément, un locuteur français fait ses recherches en masculin...
J'espère que vous pourrez trouver votre bonheur dans ces propositions. Retenez également que le langage collaboratif et inclusif ne porte pas seulement sur les questions de genre. Il s'agit de se rendre accessible pour tout le monde. Si jamais vous souhaitez vous faire accompagner dans votre identité verbale, Raison d'être ou autre, contactez-moi.
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