Voici, à mon avis, comment expliquer d'un point de vue psychologique pourquoi et comment l'électorat républicain s'est davantage mobilisé ces derniers mois. Décryptage des 5 raisons psychologiques majeures à l'oeuvre.
Raison psychologique n°1 : le biais de réactance
Le biais de réactance est un concept central en psychologie sociale qui décrit la réaction émotionnelle et comportementale qu'éprouve un individu lorsqu'il perçoit une menace à sa liberté de choix ou à son autonomie. Ce biais a été initialement théorisé par le psychologue Jack Brehm en 1966 dans le cadre de sa théorie de la réactance, visant à expliquer comment les individus réagissent face aux tentatives de contrôle ou de persuasion.
La réactance est une réponse motivationnelle qui pousse une personne à restaurer une liberté perçue comme restreinte. Selon Brehm, lorsque quelqu'un se sent contraint de modifier son comportement ou ses attitudes, il éprouve une tension psychologique appelée réactance. Cette tension incite l'individu à résister à la contrainte afin de rétablir son autonomie. Par exemple, si un parent impose un couvre-feu strict à son adolescent, ce dernier peut ressentir une réactance et chercher activement à contourner cette règle pour réaffirmer son indépendance.
Les individus imaginent des scénarios alternatifs dans lesquels ils auraient conservé leur liberté, renforçant ainsi leur désir de revenir à cet état de liberté. De plus, la réactance est souvent amplifiée par le degré d'importance que l'individu accorde à la liberté menacée. Plus la liberté est jugée cruciale pour l'identité ou le bien-être de la personne, plus la réactance sera intense. Concernant les éléctions américaines, on a pu observer de nombreux discours pro-Harris : NBC, ABC, MSNBC, CNN ont réellement orienté leurs news en valorisant la candidate démocrate. Sans oublier les insultes envers les votants républicains, traités de "garbage" (ordure, poubelle), par Biden et d'autres. Selon moi, cette attitude est caractéristique de ce qui active le biais de réactance et contribue à mobiliser les gens.
Raison psychologique n°2 : l'effet backlash
L’effet backlash, ou « réaction de contre-coup », est un phénomène psychologique et sociologique étonnant : le changement social suscitent des réactions négatives et de résistance de la part des individus ou des groupes perçus comme menacés par ces transformations. Cet effet se manifeste lorsqu’une amélioration des droits ou du statut d’un groupe minoritaire entraîne une hostilité ou un recul des droits pour ce même groupe. Par exemple, le fait de devoir écrire le mot "Black" avec un B majuscule alors que l'on doive écrive le mot "white" avec un w majuscule provoque des réactions fortes dans le groupe qui se sent concerné par le mot "white".
De plus, la théorie de l’identité sociale de Tajfel et Turner (1979) explique que les individus cherchent à maintenir une image positive de leur propre groupe (ingroup), ce qui peut conduire à la dévalorisation des groupes extérieurs (outgroup) lorsque les frontières sociales sont perçues comme floues ou menacées. Mécanisme qui semble entrer également en compte dans l'effet backlash.
A force d'accentuer sur les dimensions purement identitaires, prônées par le camp démocrate qui se basait sur les votes des "femmes", des "Noirs", des "latinos" et autres minorités en priorité (oubliant de parler à tous les autres), cette attitude n'a fait qu'attiser un terreau dans lequel peut s'épanouir l'effet backlsash.
Autre hypothèse qui s'ajoute : il est probable qu'une majorité des américains soient d'ailleurs assez las de ces efforts de segmentation, aient envie de se percevoir davantage à travers son "humanité", (voire son "âme") que son corps physique ou apparence identitaire. En tous les cas, "diminuer" volontairement et très visiblement un groupe par rapport à un autre ne semble pas une technique gagnante (les migrants illégaux n'étant pas américains, et les déclarations sur le fait de rembourser les transitions de genre par Kamala ne s'adressant qu'à un tout petit groupe de personnes, radicalisant les autres ne se sentant pas écoutés ni entendus, partis voir l'autre camp pour certains...)
Raison psychologique n°3 : le biais de confirmation
Celui-ci vous le connaissez déjà, mais je vais tenter d'en parler un peu différemment. Loin d'être un simple mécanisme d'autovalidation et individuel, ce biais est au contraire collectif. En effet, la plupart des discussions sur le biais de confirmation en font un problème purement individuel alors qu'il fonctionne surtout à un niveau collectif.
Plus précisément, ce phénomène favorise l'auto-sélection culturelle : des groupes se forment et se renforcent autour de croyances partagées, et les individus qui divergent finissent souvent par être marginalisés ou exclus. Dans le cadre de mon expérience des plateaux TV, j'observe et j'écoute beaucoup les journalistes lors des pauses. J'ai remarqué que, la plupart du temps; journalistes-éditorialistes-invités partagent les mêmes idées, allant dans le même sens, comme pour se rassurer ou s'auto-convaincre avant le live ne reprenne. Ces idées sont la plupart du temps élitistes et normées (mais c'est un autre sujet que je ne développerai pas ici).
Ajoutons également que dans le cadre de la "charge cognitive", le biais de confirmation apparaît comme un mécanisme d’optimisation mentale. L’esprit humain, limité dans sa capacité de traitement de l'information, privilégie les informations qui confortent des schémas préexistants pour éviter un "coût cognitif" élevé. Plus grave, il semble que la confirmation d’une croyance active les circuits de récompense dans le cerveau, en libérant de la dopamine, un neurotransmetteur associé au plaisir. En d’autres termes, chaque fois que nous confirmons une croyance, notre cerveau renforce cette tendance à travers une boucle de rétroaction positive. Peut-être est-ce ce phénomène que j'observe ci-dessus quand je décris des personnes visiblement "rassurées" ?
C'est sans doute l'organisation même du monde médiatique et journalistique qui devrait être repensée pour ne pas nuire à l'objectivité. En effet, bien souvent un plateau se transforme en tribune courtisane et partisane. Le pire, selon moi, étant de le faire sous le "sceau" de l'impartialité et de la neutralité.
Raison psychologique n°4 : le phénomène du passager clandestin
Comme vous le savez, je me suis passionnée pour le jeu du Loup Garou. Dans la grille comportementale que j'ai mise eu point, le "passager clandestin" me semble la posture la plus pertinente pour évoquer ce phénomène connu des instituts de sondage. Je m'explique.
En psychologie sociale, on parle aussi de l'effet de faux consensus (ou faux consensus effect) et, dans une moindre mesure, de l'ignorance pluraliste. Ces phénomènes décrivent la tendance des individus à surestimer la mesure dans laquelle leurs croyances, opinions, préférences, valeurs, et comportements sont normaux et partagés par les autres. Ce sont des biais cognitifs qui conduisent à une perception exagérée de l'homogénéité des opinions au sein d'un groupe. Phénomène qui a été mis en exergue dans les années 70 par Lee Ross et ses collègues.
Dans le cadre des élections américaines, cet effet peut expliquer pourquoi certains électeurs démocrates pourraient supposer que la majorité de leurs pairs voteront pour un candidat comme Kamala Harris, alors qu'en réalité, une part significative pourrait préférer un candidat comme Donald Trump. Cette surestimation de la convergence des opinions peut influencer les stratégies de campagne, les perceptions de soutien et même la mobilisation des électeurs. Plus précisément, si les démocrates croient que la plupart des électeurs partagent leurs vues, ils pourraient sous-estimer la nécessité de convaincre les indécis ou de mobiliser davantage de voix.
Concernant les sondages et intentions de vote, normalement il existe des manières de "contre-carrer" ces biais. Les instituts de sondage, tels que Pew Research Center, Gallup, Ipsos, et d'autres reconnaissent que les réponses des individus peuvent être influencées par divers biais, comme ceux que l'on vient de voir. Ajoutons également le biais de Désirabilité Sociale. Les personnes donnent souvent des réponses ou intention de vote qu’elles jugent socialement acceptables plutôt que leurs véritables intentions. C'est pour cela que je trouve le jeu du Loup Garou très pédagogique et l'analyse comportementale indispensable. Une bonne lecture du comportement de l'autre permet de déceler ces contradictions.
Raison psychologique n°5 : l'effet Orwell
Selon moi, Orwell est le penseur phare de la post-vérité. Dans son ouvrage 1984, pourtant un roman de Sci-Fi, Orwell met en exergue le rôle du langage dans sa capacité à soumettre les individus à une norme autoritaire. "La guerre c'est la paix" ou encore "la liberté c'est l'esclavage" sont les leitmotiv qui animent la vie des personnages. Plus que jamais, les mots sont décollés du réel. C'est dans ce cadre que s'épanouit la post-vérité :
Le terme « post-vérité » trouve une entrée spéciale dans le dictionnaire d’Oxford en 2016. Il fait référence à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles. Là encore, Donald Trump n’y est pas étranger. Le jour de son discours du 8 novembre 2016, le président des États-Unis fraîchement élu déclame son discours inaugural devant une foule immense, d’après lui, « d’un million, un million et demi » de personnes. Une déclaration fortement en contraste avec les photographies clairsemées et pluvieuses de la presse américaine. Quelques mois après, en juin 2016, la période pré-électorale qui conduira au Brexit contient elle aussi son lot de fake news. Rappelons toutefois que le terme de post-vérité renvoie à des pratiques qui existent bien avant que le dictionnaire d’Oxford ne les consigne. Que penser, par exemple, des déclarations de Colin Powell devant l’ONU à propos des armes de destruction massive présentes en Irak ? Des preuves avancées et in fine « inexactes ». L’ancien secrétaire d’État américain affirme lui-même « (…) ce n’était pas un mensonge délibéré de ma part», voire même regrette ses accusations contre l’Irak.
La question des fake news et de la post-vérité est fondamentalement en lien avec la question philosophique de notre rapport au sens. Pour de nombreux journalistes et intellectuels américains – dont Michiko Kakutani, l’ancienne rédactrice en chef du New York Times –la « faute » de cette dérive dans la recherche de la vérité incombe à un groupe de philosophes connus : ceux de la French Theory. Exportées outre-Atlantique, les pensées de Derrida et Foucault ont connu un franc succès. Dans son ouvrage, Michiko Kakutani2 explique que la remise en cause de la vérité, substituée au « régime de vérité », a dilué les frontières auparavant nettes entre la vérité et le mensonge. (Extrait du livre Anti Bullshit, p88).
Concernant les élections américaines, il est intéressant de noter le revirement de certaines populations foncièrement démocrates. Dans un très bon papier, Vincent Jolly met en exergue pour Le Figaro le questionnement de nombreux New-Yorkais face à l'arrivée non contrôlée de migrants. Plus précisément, l'article raconte comment Randall's Island, transformée en centre d'accueil pour migrants en 2022, a rapidement été submergée par plus de 210 000 arrivées en deux ans, provoquant des difficultés d'hébergement et des tensions avec les résidents locaux. La fermeture imminente de ce centre illustre un phénomène plus large où l'afflux massif de migrants engendre des problèmes tels que la criminalité, la prostitution et les conflits intercommunautaires, mettant à l'épreuve les convictions multiculturelles des habitants. Les sondages révèlent une opinion publique de plus en plus hostile, avec une majorité nationale et une grande partie des électeurs de New York, y compris des démocrates, percevant l'immigration comme une crise grave.
Ces personnes, démocrates depuis toujours, se sentent désormais en insécurité dans leur propre quartier, voire habitation. Cette réalité vécue semble ainsi en opposition avec les discours politiques de la gauche américaine, pro-migrante et évacuant dès que possible le sujet sécuritaire. Se crée alors une dissonance cognitive, ou inconfort psychologique lié au décalage entre des idées et du vécu.
Conclusion
Voilà, j’espère vous avoir éclairé sur les mécanismes psychologiques à l’oeuvre. Si vous voulez en savoir davantage sur les mécanismes inconscients au moment du vote, cet article à lire ici.
By the way, c'est mon sujet de thèse, je l'étudie depuis des mois, mais que voulez-vous, aucun médias français n'a jugé pertinent d'avoir cette grille de lecture en plateau. D'où la raison de ma volonté de ne plus participer à cette merde qu'on appelle "télé" ou encore "décryptage" et "information". J'ai pris la décision, difficile de plus apparaître dans les médias français, je vous en dirai sans doute davantage prochainement.
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