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Les mots de Donald Trump

C'est une analyse que je devais livrer dans les médias, mais comme j'ai été annulée en dernière minute et sans considération, j'ai décidé d'arrêter cette activité chronophage et non lucrative. Je vous raconterai tout dans une vidéo qui vise à déconstruire le monstre médiatique. En attendant, puisque j'avais fait le travail d'analyse, je vous livre ici quelques clefs de lecture.


La démarche de l'analyse linguistique et sémantique : le pouvoir des mots


Pierre angulaire de toute approche analytique linguistique, l'analyse des discours, des mots et du style permet de rendre compte des dynamiques discursives et idéologiques à l'oeuvre. Cet article se concentre sur le style linguistique et rhétorique de Donald Trump, comparé à celui de Kamala Harris (dans une moindre mesure). Voici de quoi élargir et approfindir divers aspects de la communication verbale.


Trois apsects retiennent notre attention :

  • les aspects sémantiques : fréquence des mots et leur portée symbolique;

  • le style rhétorique : quelles figures de styles, quelle tonalité, quels effets ;

  • la linguistique pragmatique : quels actes de langage en particulier ;


Cette exploration vise à comprendre comment une personnalité politique mobilise le langage pour structurer des narrations politiques distinctes, sans présupposer de jugement moral sur leurs intentions ou leurs résultats.


1. Analyse sémantique : Fréquences et choix lexicaux


1.1. Donald Trump : L’art de la répétition et de l’amplification


Donald Trump mobilise un lexique restreint mais puissant. Certains linguistes ont associé la pauvreté lexicale de Trump a un début de maladie sénile. Je n'ai jamais partagé ce point de vue. D'abord parce que c'est surtout le NY Times qui évoquait ce point, donc une presse loin d'être neutre. Et surtout, j'ai bien observé la campagne déployée par Trump et ses équipes, elle s'est autant déployée sur les réseaux sociaux que dans les medias plus traditionnelles. Trump s'est ainsi exprimé plus de 4 heures sur la chaîne de Joe Rogan. Comment aurait-il pu le faire en étant sénile - à la Biden a-t-on envie d'ajouter... ?


En revanche, cette simplicité du vocabulaire a des conséquences. D'abord, elle rend le discours accessible. Ensuite, elle favorise la mémorisation. Surtout, elle s'adresse aux régions les plus archaïques et émotionnels de notre cerveau. De ce point de vue là, la répétition et la simplicité sont des capteurs d'attention. Plus précisément, les mots courts, répétitifs et concrets activent directement les zones limbiques et l’amygdale, régions impliquées dans la prise de décision rapide et les réactions émotionnelles. Donald Trump sait mobiliser l'instinct et l'affect. Rappelons que l’amygdale est responsable du traitement des émotions telles que la peur, la colère ou l’excitation. Finalement, en utilisant des mots simples, répétitifs et chargés émotionnellement (comme "win", "great", "fake" ou "bad"), Trump stimule cette région, générant des réactions immédiates et viscérales chez son auditoire. Le cerveau humain retient plus facilement des messages simples, courts et souvent répétés... Le fait que Trump vienne de la télévision et du "shwobusiness" n'est sans doute pas étranger à cette connaissance des mécanismes d'influence, que l'on retrouve également dans la publicité et les émissions de télé. En politique, on utilise le terme de "punchline" pour évoquer ces petites phrases répétées et "mémorisables".


Et des punchlines, Trump n'en manque pas. On note également l’emploi récurrent de termes comme "crooked" ou "lyin’", surnoms donnés à ses adversaires (Crooked Joe Biden, Lyin' Kamala) participe à une stratégie de branding politique où les adversaires sont réduits à des traits caricaturaux​​. Malheureusement pour le camp démocrate, il aura suffit d'une seule punchline maladroite pour que ne retienne qu'elle... Elle sera très mal passée dans l'opinion publique. Il s'agit de la déclaration de Joe Biden qui associe les partisans de Trump à une "garbage" (poubelles, ordures). Une déclaration qui aura du mal à être réctifiée, peu de temps avant l'éléction.


Enfin, notons la surabondance des "intensifieurs", c'est le terme linguistique que l'on utilise pour désigner des adverbes qui ne changent pas fondamentalement le sens d’une phrase, mais qui servent à renforcer et/ou à ajouter une valeur de degré supérieure. Par exemple, "very", "totally" ou encore "really", "extremly", "many". Ces aspects davantage formels et syntaxiques renforcent l'effet de captation de l'attention et oriente le discours dans une stratégie émotionnelle. Cette approche repose sur une stratégie d’identification et de polarisation : la répétition transforme des énoncés simples en vérités perçues​​. Parfois c'est le mot lui-même ou la structure de la phrase elle-même qui est répétée ("very very", "It’s just words, folks. Just words").


1.2. Kamala Harris : Plus de mots, au service d’une rhétorique autobiographique


Kamala Harris, en revanche, utilise un vocabulaire plus riche et davantage abstraits, qui repose en partie sur des notions progressistes, telles la justice sociale, le futur et le progrès ( "justice", "future", et "equity"). Ses choix lexicaux traduisent une volonté d’inspirer l’action collective. Mais cette approche n'est pas suffisante. Il faut souligner l'aspect biographique fondamental dans les discours d'Harris : "This is who I am, this is where I come from" aura été son leitmotiv. Elle l'aura décliné à l'infini : "My mother had saying", "I was raised to be an independant woman". De ce point de vue là, Harris et Trump ont le même centre d'intérêt : elle ! Pour Harris, décrire son parcours, pour Trump, la qualifier Lyin' Kamala.


On note un rythme moins basé sur la répétition (comme Trump), mais plutôt sur l'effet de style ternaire ("We must act, engage, and lead"), assez classique. Là on l'on est sur des logiques d'efficacité chez Trump, on trouve plutôt des logiques d'affiliation chez Kamala.


2. Analyse du style rhétorique : comment les mots sont dits


2.1. La stratégie guerrière de Donald Trump


Le discours de Donald Trump repose sur des répétitions et des oppositions, comme nous venons de le voir. Cette technique favorise une mémorabilité immédiate mais surrtout, renforce un sentiment de proximité avec ses auditeurs​​. De manière générale, le monde de Trump est divisé en deux : les winners versus les loosers. Le fait qu'il rabaisse l'autre partie vient flatter son auditoire, activant très fortement des logiques tribales d'appartenance.


S'associe à cela l'utilisation fréquente de métaphores guerrières, comme "fight" ou "battle", qui insistent sur une dynamique d’affrontement. Cela alimente une perception de lui-même comme défenseur contre des forces adverses, qu’il s’agisse des médias ou de ses opposants politiques​. La polarisation des discours de Trump s'incarne à travers une vision faite de guerre et d'opposition. Il y a bien des forces obscures contre lesquelles il faut lutter ("dark", "destruction of our nation".)


2.2. La rhétorique d’espoir de Kamala Harris


A l'inverse, Kamala Harris privilégie une rhétorique inclusive visant à fédérer les auditoires. L’usage de pronoms collectifs ("we", "our") et de références historiques donne à son discours une certaine portée symbolique. Mais c'est aussi ce qui lui fait défaut : elle a souvent donné l'impression d'une vision "bisounours", face à des préoccupations grandissantes, comme l'insécurité par exemple. Il y a donc eu deux styles très différents lors de cette campagne : d'un côté l'aspect plus pragmatique et concret de Trump, versus la vision idéaliste et progressiste d'Harris.


3. Linguistique pragmatique : Les actes de langage


3.1. Rappel sur les actes de langage


On rappelle ici les 5 catégories d'acte de langage décrites par Searle :

  • les assertifsl'orateur s'engage à la vérité d'une proposition (dire) ;

  • les directifs où l'orateur cherche à influencer l'auditoire pour qu'il réalise une action (faire faire) ;

  • les commissifs où l'orateur s'engage à réaliser une action future (faire demain) ;

  • les expressifs qui traduisent un certain état psychologique et émotionnel de l'orateur (être) ;

  • les déclaratifs, qui correspondent aux performatifs, puisqu'ils viennent transformer le réel.


3.2. Donald Trump : Une vision du monde conflictuelle


Dans les discours de Trump, les actes de langage représentatifs (ou assertifs) dominent, représentant 18 % de ses énoncés analysés. Ces affirmations, souvent non vérifiées, servent à ancrer des idées controversées dans le réel et le concret.


Les actes expressifs et directifs occupent également une place centrale. Par exemple, ses injonctions comme "Make America Great Again" agissent comme des appels à l’action collective. L’usage de l’expressivité amplifie également l’émotion transmise, renforçant son charisme perçu auprès de ses soutiens​​.


3.3. Kamala Harris : Une pragmatique de l’engagement


Chez Kamala Harris, les actes commissifs sont prédominants, engageant l’oratrice et son auditoire dans un projet commun. Par exemple, l’assertion "We will rebuild better" combine des intentions claires et des perspectives positives, mobilisant ainsi une vision partagée​.


Son discours, qui évite davantage les attaques personnelles (rendant le "garbage gate" d'autant plus visible), recourt à des critiques construites, souvent appuyées par des arguments rationnels et des données tangibles.


4. Conclusion : la vision de l'immigration


Cette étude de linguistique comparée démontre les styles, stratégies et discours différents de Donald Trump et de Kamala Harris. Plus précisément, il me semble qu'un point en particulier en fait deux narratifs non conciliables et contradictoires (qui ne peuvent coexister ensemble, comme dans le carré sémiotioque), c'est la vision de l'immigration. Pour Harris, est le socle de l'histoire américaine ("Nation built by immigrants", "We are a nation of immigrants"), alors que pour Trump elle en est le fléau ("eating the cats, eating the dogs of the people that leave there", il crée la catégorie "migrant crime"). Cette vision peut nous choquer. Rappelons que le contexte actuel joue un rôle primordial et a sans doute accéleré l'ascension de Trump au pouvoir : qui pour encore chanter les refrains de "la mondialisation heureuse" ?



Sources

  • Schneider, Ulrike et Eitelmann, Matthias (2020). Linguistic Inquiries into Donald Trump’s Language. Bloomsbury Academic​.

  • Piccioni, Anna (2022). The Political Speeches of Kamala Harris: a Linguistic Analysis. Università degli Studi di Padova​.

  • Febriana, Sonya Widya et al. (2018). The Analysis Speech Acts of Donald Trump’s Speech​.

  • Wilber, Ken (2017). Trump and a Post-Truth World​.


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