Comment la post-modernité s'exprime-t-elle à travers les identités visuelles des marques ? Voici une question originale à laquelle nous souhaitons répondre. Comprendre comment l'évolution de notre société se traduit visuellement et graphiquement. Décryptage.
Article co-écrit avec Jeremie Fesson de l'agence Grapheine.
Qu'est-ce que la post-modernité ?
Avez-vous remarqué que nos repères s’effritent ? Pour de nombreux penseurs, cela s’explique de manière simple : nous glissons petit à petit de l’époque moderne, héritage des Lumières, à la post-modernité. Comment définir cette nouvelle ère ? Pour Michel Maffesoli, professeur émérite en sociologue, nous entrons dans « le temps des tribus » (1988). Evidemment, l’impact pour les marques et les entreprises est majeur : de nouveaux codes de la communication émergent. Voici donc la question à laquelle il convient de répondre : quels sont les nouveaux codes graphiques de la post-modernité? Décryptage à travers les logos et nouvelles identités visuelles.
Les principales caractéristiques de la post-modernité
Voici un résumé des 6 caractéristiques essentielles pour caractériser la « post-modernité ». Catégorisation issue du travail de Michel Maffesoli :
1- Tribalisme (versus Individualisme)
On passe du « je pense donc je suis » (Descartes) au « je est un autre » (Rimbaud). L’individu n’est plus au centre d’une République une et indivisible : c’est l’idéal communautaire qui prend le relais.
Graphiquement : Le temps des tribus est un temps incarné et humain, voire animal. On abandonne les codes trop statutaire pour favoriser des emblèmes simples. Illustration avec un nouvel entrant du monde de l’assurance : Alan.
Nouveau visage de l’assurance en ligne pour une jeune génération d’« auto entrepreneurs » freelances. Un logo mascotte façon doudou peluche, infantilisant mais rassurant et « kawaï » dans la pure tradition japonaise des personnages de mangas. On est proche du graphisme d’un Totoro des studios Ghibli, voir d’un Pikachu ! Une esthétique digital mignonne tout en rondeur dans l’emblème et la typographie, qui casse les codes statutaires « corporate » des logotypes des autres établissements historiques. Un logo-visage qui mise tout sur le principe de « néotonie » : C’est mignon et j’éprouve un sentiment de bienveillance car je reconnait les caractéristiques d’un visage juvénile (Les yeux sont presque dans l’axe du nez, la bouche est petite et l’ensemble est très rapproché). Un parti pris volontairement disruptif et « fun » pour ne pas faire comme papa et maman. Le nom de ma marque « Alan » est un prénom qui prend le contre-pied naming des concurrents où l’acronyme était roi : MAAF, MACIF, MAIF, MATMUT, GMF… Un choix qui a pour objectif d’humaniser le service, mais attention sans capitales pour rester dans la rondeur des « a » bas de casses. Un univers douillet qui donne envie de se lover dans son « hygge digital ».
2- Créativité (versus Travail)
Le travail n’est plus un impératif catégorique (Kant) pour se réaliser. C’est faire de sa vie une oeuvre d’art, et en tous les cas, ne plus perdre sa vie à la gagner qui a du sens et qualifie l’existence.
Graphiquement : La question de la liberté devient centrale. On abandonne les codes trop « enfermants », les « mises en abyme » pour ouvrir les espaces fermés.
Illustration avec le nouveau logo La Poste :
Ouvre la cage aux oiseaux ! Un nouveau logo qui supprime le cadre pour libérer le célèbre emblème. Un dynamisme et une ouverture émancipatrice qui assume l’iconicité de son emblème qui hybride l’image d’une enveloppe et d’un oiseau en vol. Un positionnement plus ostentatoire beaucoup plus en phase avec la cible jeune adolescente avide de « codes de marques » (cf la campagne d’affichage qui a dévoilé cette nouvelle image). Ce rebranding est donc une tentative de construire une image plus décontractée et elle vise la « gen Z » qui grâce à la banque postale obtiendra son premier compte bancaire, nouvelle étape vers la construction de son indépendance. Un oiseau postal qui devient bleu clair et se rapproche d’un autre logo oiseau célèbre, celui de Twitter.
En supprimant la mise en abime du cadre dans le cadre, pour ne garder que l’emblème et le bloc typographique, le logotype devient plus léger et aérien. Il se simplifie pour offrir un système plus flexible qui permet au logotype de se décliner de façon responsive sur les supports numériques. C’est une solution graphique moins figée et moins statutaires, mais en contrepartie elle gagne en « agilité » :)
La tagline « Citoyenne » du nouveau logo sous entend que la Banque Postale s’inscrit dans les entreprises qui ont l’ambition de porter une raison d’être qui impacte positivement la société. Ce qui est la moindre des chose lorsque que l’on est une banque publique !
3- Remagification (versus Technicisme)
Les réponses systématiques et purement rationnelles pour organiser et structurer le monde laisse place à une « remagification » du monde (Benjamin Walter). Une vision hollistique du monde s’impose.
Graphiquement : Cette remagification du monde se traduit par la valorisation des couleurs arc-en-ciel. Illustration avec le dernier logo Apple, qui revient aux fondamentaux, en modifiant juste quelques nuances, et en ayant définitivement abandonné le gris…
En tant que designer de logotypes, nous sommes naturellement coutumier de créer des évolution d’identité visuelle, avec une certaine idée du « progrès graphique » sous tendu par l’efficacité de la simplification formelle à même de facilité la mémorisation de ces signes. Mais si l’on on doit constater le consensus de la profession dans ce processus de transformation, force est de reconnaitre que le phénomène inverse de régression graphique touche récemment et de plus en plus les grandes entreprises internationales.
Burger King, Reebok, Kodak sont un bon échantillon de marques touchées par ce mystérieux phénomène de désévolution de leur logo. Nostalgie ou reboot pour effacer les erreurs successives des derniers rebranding ?
Est-ce un moyen de revenir à un bon design mémorable ?
Avec ce logo Apple ressuscite l’âge d’or de ses premières années où la marque était encore pionnière. Un logo « vintage » qui désévolue la précédente version monochrome saluée pour son minimalisme et son élégance minimale, pour entretenir un sentiment de nostalgie des origines avant gardistes de la marque. C’est une émulation du passé à la sauce Stranger Things de Netflix (une copie de la touche Amblin des production Spielberg). Cela nous laisse fantasmer une version idéalisée des années 80, et donne un sentiment de nostalgie pour cette période à toute une génération trop jeune pour l’avoir réellement vécue. Le rêve d’une époque révolue ou la vie semblait plus simple et moins angoissante. Ce retour en arrière peut aussi être lu comme un manque de vision pour l’avenir. Nous pourrions qualifier ce phénomène de « Golden age capitalism nostalgia », comme une résurgence des codes graphiques d’une époque où le soft power américain était à son paroxysme via son emprise et sa domination culturelle et économique.
Les rayures arc-en-ciel peuvent aussi être interprétée comme de l’activism washing, une technique opportuniste pour séduire la communauté LGBTQ+ en prenant une image de marque pseudo « inclusive ».
4- Esthétisation (versus Utilitarisme)
On quitte une représentation utilitariste du monde (ne vaut que ce qui sert (paranoïa). On valorise une vision esthétique et émotionnel : corps-esprit-environnement sont liés (épinoïa).
Graphiquement : Cela se traduit par la gestion du blanc et de la transparence, par-dessus des univers photographiques chargés. Un nouvel espace - sans bruit - est permis. Exemple avec cette déclinaison de l’identité visuelle Axa.
Continue sa lente mue entamées depuis plusieurs années dans le but d’assoir la « barre rouge oblique » comme futur emblème de la marque aux yeux du public. Sorti du logo le « slash rouge » est un signe graphique qui signe les visuels et les campagnes publicitaire de Axa. Ceci peut expliquer le traitement blanc-transparent du carré cartouche qui - tentons une prophétie branding - devrait finir par totalement disparaître pour un futur logo où ne devrait subsister que le bloc typo Axa et le slash rouge. Il me semble que cela est une stratégie de lente accoutumance visuelle pour préparer cette évolution sans perdre la reconnaissance et la notoriété graphique de la marque.
J’ai lu un jour - mais impossible de me rappeler où - que le logo Axa tire son graphisme d’une symbolique christique - trinité des trois lettres A, X, A, ou Marie et les apôtres au pied de La Croix ??, tandis que le trait oblique ascensionnel rouge représente l’esprit de Jésus qui monte au ciel.
Mastercard, visa et tout dernièrement « SG » comme refonte de la société générale fusionnée avec le Credit du Nord », ce sont illustrés sur ce versant de l’ultra minimalisme géométrique. Mastercard en suppriment son nom pour ne conserver que les deux cercles entrelacés ; Visa en tentant d’imposer les deux barres en forme de signe « égale » comme son nouvel emblème. « Trademark gains value over times » !
Cette recherche de l’épure géométrique est un héritage des préceptes du Bauhaus qui prône une forme déterminée par des prérogatives d’efficacité fonctionnelle que cela soit dans la production et l’utilisation. A ce rythme là toutes les formes géométrique basiques seront accaparées par les marques et copyrightées !
Faisons le pari qu’avec encore un peu de patience et nous devrions bientôt découvrir un nouveau logo Axa modernisé.
5- Présentéisme (versus Futur sublimé)
Le futur n’est plus un enjeu de sublimation, ou envisagé comme un report de jouissance (Freud). C’est le primat du présent dans son immédiateté et de l’instant éternel...
Graphiquement : L’immédiateté est un enjeu post-moderne. Les codes graphiques se donnent à lire de manière plus immédiate et rapide. Fini les détails baroques et le style rococo ! On laisse place à la simplicité des codes et formes géométrique davantage minimalistes.
Illustration avec le nouveau logo Renault :
Le dernier rebranding de Renault en puisant dans l’origine du logo dessiné par Vasarely en 1972, s’inscrit dans le socle historique de la marque avec une volonté de simplicité “timeless” comme pour devenir éternel, sortir de la boucle infinie des tendances graphiques passagères. Le nouveau design du losange renoue avec les lignes vibrantes de l’art optique dans un tracé simplifié et « flat » qui s’adapte parfaitement aux contraintes d’affichage des interfaces écrans.
Avec ce refonte visuelle, Renault donne l’impression d’avoir fait la synthèse des différentes versions de son logo à travers les époques pour un design qui semble être l’aboutissement d’une forme définitive et intemporelle comme peut l’être le monogramme de Chanel. Le « simplicity is the ultimate sophistication » de Da Vinci croise le « Less is more » de Mies van der Rohe.
6 – Relativisme (versus Vérité)
La verticalité de la « Loi des Pères » (détenir La Vérité) laisse place à l’horizontalité des Vérités plurielles, mises en relation les unes par rapport aux autres. C’est l’ère du relativisme : les points de vue coexistent.
Graphiquement ; Cette « horizontalisation des rapports » passe pas une modification de la typographie. On abandonne le lettrage capitale (haut-de-casse) pour valoriser le lettrage en minuscule (bas-de-casse).
Illustration avec ce nouveau logo Total :
Quand on a l’ambition de développer les énergies « propres », ne faudrait-il pas être cohérent et adopter un logo synonyme de sobriété qui limite son impacte environnementale ? C’est tout l’inverse que réalise ici Total, devenu Total énergies en mettant tous les curseurs de la surenchère visuelle dans le rouge. Tout d’abord un dégradé multicolore, comme un « flux digital et immatériel », qu’on imagine être le symbole de la nouvelle pluralité des énergies que propose Total énergies (après le rachat de Direct énergies), pose de réels problèmes de lisibilité de la ligature emblème « Te ». Mais cela devient une vraie calamité dès qu’il s’agit de reproduire le logo sur des supports « physiques » car cela oblige de l’imprimer dans une version multicolore. Grosse iemreinte carbone pour le déploiement de la nouvelle identité sur les signalétique d’enseignes, les véhicules…
C’est particulièrement tape à l’oeil et en terme de pollution visuelle, nous tenons un champion.
La ligne molle de la ligature « Te » qui en plus de n’avoir aucun sens, rappelle l’affreux ancien logo escargot du TGV, époque « prendre le temps d’aller vite ». Nous sommes dans un cas de rebranding qui efface l’ancienne identité pour se racheter une conscience écologique avec une bonne dose de « greenwashing ». Encore une fois, le nouveau lettrage supprime les capitales statutaires et devient bas de casse, pour plus de rondeurs pour une esthétique plus chaleureuse.
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