Politiques RSE, fonds d'investissement verdis, Raisons d'être enjolivées, le pipotron a de l'avenir devant lui. C'est d'ailleurs peut-être ainsi que nous jugerons les générations futures : drogués aux belles histoires, netflixisés la plupart du temps, figés dans l'action. En attendant, voici comment repérer l'effet Bullshit.
1) Le Purpose washing nous en fait voir de toutes les couleurs
Qu'est-ce que le Purpose washing ou effet Bullshit ?
L'effet Bullshit, ce sont toutes les manifestations verbales symptomatiques d'un décrochage entre le réel vécu et les mots ou valeurs mis en avant par l'entreprise. Je rappelle que la langue de bois est la structure linguistique favorite du Bullshit.
Le purpose washing se décline en plusieurs tonalités. Découvrons-les ensemble dès présent. On peut même parler de "Colorwashing"...
Qu'est-ce que le pinkwashing ?
Lorsqu'une entreprise ou une marque utilise les codes du combat féministe, en prétendant porter cette cause alors que dans la réalité, il n'en est rien, on peut parler de pinkwashing. Par exemple, les produits d'hygiène "roses" (ex. rasoir pour les femmes) vendus beaucoup plus cher que leurs homologues masculins.
Qu'est-ce que le greenwashing ?
Lorsqu'une entreprise ou une marque se vente de son engagement écologique, sans que cela soit fondé et/ou prouvé, uniquement dans une visée utilitariste et marchande. Par exemple, la dernière campagne Alpro, entreprise agroalimentaire du groupe Danone qui commercialise des produits d’origine végétale, interpelle. Les slogans « Préservons la Terre, c’est la seule planète où il y a du chocolat », ou « Savourez sans mettre la planète à l’amande », ou encore « Des boissons végétales très gourmandes sauf en CO2 » semblent très abusives. Ces mots traduisent l’absence totale d’impacts négatifs liés à la consommation du produit. Or, par exemple, la culture du cacao implique la déforestation, des plantations hydrovores, et le travail forcé des enfants." (Extrait "Anti Bullshit", p 208).
Qu'est-ce que le rainbow washing ?
Lorsqu'une entreprise ou une marque met en avant son engagement pour le combat LGBTQ+, sans que ces valeurs ne soient cohérentes en interne, ou pour des raisons purement économiques. A ce titre, on peut se poser la question de savoir si la dernière campagne Calvin Klein, mettant en scène un "homme enceint" ne relève pas de cette catégorie...
On ne peut pas faire émerger sa Raison d'être sans bien se connaître
Pour les organisations, somme de multiples individualités, l'enjeu reste similaire. Mais comment offrir une boussole à ses collaborateurs lorsqu'on ne se pose même pas la question de savoir qui elle est ? quelles sont ses valeurs ? quel est son mythe fondateur ? Faire émerger un Imaginaire, un langage commun, à travers des Mots, Symboles et des Archétypes, voilà qui devrait être au programme de la plupart des entreprises. Est-ce un acte politique ? Peut-être... Restons vigilants contre le "bullshit" et le "Color Washing", dérives potentielles de tout "purpose washing", phénomène bien connu lorsque les entreprises ou les marques se veulent étendards de valeurs qu'elles n'incarnent pas dans la réalité.
J'ai vu trop d'entreprises qui déléguaient la formulation de leur Raison d'être à des agences de communication, ou à leurs services internes, qui travaillent sans spécialistes de la langue, et qui telles Monsieur Jourdain pensent pouvoir accoucher de la Raison d'être dans leur coin. Voici l'un des écueils parmi d'autres. La phase d'audit permet de comprendre et faire émerger, par la voix des collaborateurs, le mythe fondateur ou identité profonde de l'entreprise.
2) La Raison d'être, juridiquement trop peu contraignante à l'heure actuelle
Les entreprises avec Raison d'être inscrite dans leurs statuts juridiques sont beaucoup moins contrôlées que les entreprises à mission. Finalement, la Raison d'être prend des tournures cosmétiques, en lieu et place de réels engagements. D'ailleurs, il est prévu que le dirigeant d'une entreprise puisse être révoqué par le conseil d'administration s'il s'écarte trop de la Raison d'être. Franchement, on ne l'a jamais vu, et on ne le verra jamais je pense ! Vous le comprenez, en dépit d'un cadre juridique spécifique, tout reste possible / ouvert. Pour ma part, je m'inquiète de constater cette porosité grandissante entre le juridique et la communication. C'est une dérive à laquelle nous devrions être davantage vigilants. Ce qui nous amène au point suivant.
Faber
3) Le coup de com' permanent
Des mots qui sèment la confusion et le doute quant au rôle social joué par les entreprises
Prenons un autre exemple, l'entreprise We Work, proposant des espaces de co-working, a mis dans ses statuts participer à la "transformation des modes de travail" et non société immobilière. Alors même que le modèle financier s'est transformé en bulle spéculative.
Bien souvent, la Raison d'être est formulée pour satisfaire les critères RSE. Ce qui permet aux entreprises d'apparaître officiellement sur listing et d'attirer les investissements. La Raison d'être devient ainsi un miroir aux alouettes. Finalement, l'engagement sociétal semble petit à petit s'effacer...
Réduire les enjeux écologiques à du marketing, faisant le jeu de l'inaction climatique
Prenons un exemple : Danone. Première entreprise à lancer sa Raison d'être en 2019, au moment de la Loi Pacte, c'est aussi l'une des entreprises de l'agro alimentaire les plus polluantes au Monde. Alors que sa Raison d'être s'affiche en gros et en large sur son site Internet, sur ses supports de communication multicanaux, on ne peut que soulever le paradoxe d'une entreprise dont l'impact environnement est très important. Leur Raison d'être est formulée autour de cet engagement : "apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre". Pourtant, c'est cette même pollution générée qui peut atteindre notre Santé... Monde schizophrénique bonjour.
Petite parenthèse : à force de se bercer d'illusions et de jolies histoires, on a vraiment cru pouvoir maintenir le cap des 1,5 °C d'augmentation. Certains scientifiques trouvent cette posture scandaleuse et réclament d'en informer la population mondiale :
Mais, après des « années d’inaction climatique », « nous devons être honnêtes et reconnaître qu’il n’existe aucune politique identifiable qui nous permettrait maintenant de nous rapprocher de 1,5 °C », avance Wolfgang Cramer, directeur de recherche (CNRS) à l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale, et l’un des auteurs principaux du 2e volet du 6e rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). S’il a signé la tribune, au même titre que quelques autres auteurs du GIEC, c’est qu’il juge « insupportable » de continuer à présenter cet objectif comme possible « pour ne pas décourager l’action ». « Si nous ne disons pas la vérité, nous risquons au contraire de perdre notre crédibilité scientifique et d’inciter à des politiques publiques qui ne sont pas basées sur des faits scientifiques », poursuit-il. Extrait de l'article du Monde du 15 nov. 2022
Des fonds verts qui servent à polluer
Dans un autre article du journal sur la grande tromperie des fonds d'investissements verts, on comprend l'ampleur du phénomène : toutes les politiques RSE génèrent des bénéfices pour les entreprises, sans pour autant que les investissements dans la transition énergétique ne soient présents !
Plus de la moitié des placements gérés en France se rangent aujourd’hui derrière ces étiquettes aussi attrayantes que floues : investissements « responsables », « durables », « verts »…. Mais notre enquête jette une ombre sur une catégorie des fonds européens, dits « article 9 » ou « super verts », censée distinguer les meilleurs élèves dans la jungle du greenwashing (ou « écoblanchiment », donnant au public une image écologique trompeuse). Alors que la réglementation européenne qui les définit (le fameux « article 9 ») leur impose de financer uniquement des actifs durables, nous avons identifié dans leurs portefeuilles dix des vingt entreprises tenues responsables de plus d’un tiers des émissions mondiales de GES par le Climate Accountability Institute. Extrait dossier du Monde du 29 novembre 2022
L'exemple de TotalEnergies est assez significatif. L'entreprise est présente dans 36 fonds "super verts". Au moment même où le pétrolier finance un projet pharaonique d'oléoduc en Afrique et que des manifestants se sont réunis pour le dénoncer. Pourtant, Total Energies est présent dans ces fonds verts en promettant des efforts pour « réduire leur exposition au charbon et aux combustibles fossiles non conventionnels ». PROMESSE. Voici le mot qui résume à lui seul la problématique devant laquelle nous nous trouvons... Entre impératif de rentabilité et protection de notre Terre, l'issue semble être délicate, c'est le moins que l'on puisse dire ! Tout ceci me rappelle. mon sketch préféré : "il ne faut pas prendre les gens pour des cons... mais il ne faut pas oublier qu'ils le sont" (Les Inconnus).
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