Suite à une interview donnée pour la revue Le Temps, je vous propose de plonger dans les arcanes du "bien parler". L'ocassion de revenir sur l'histoire de la Rhétorique comme discipline enseignée. Egalement d'approfondir la différence entre rhétorique, sémantique et éloquence. Enfin, nous verrsons comment appliquer la Rhétorique, au travers de règles oratoires et astuces pour réussir toute prise de parole en public.
Les origines de la Rhétorique et de la Sémantique
Qu'est-ce la sémantique et à quoi peut-elle servir dans un débat et dans le débat public?
La sémantique est une branche de la linguistique qui étudie le sens des mots, des phrases et des textes. Elle est essentielle dans tout débat, qu’il soit privé ou public, car elle permet de comprendre et d’interpréter correctement les propos des interlocuteurs.
Par exemple, la sémantique peut aider à clarifier les points de désaccord. Parfois, les gens semblent être en désaccord parce qu’ils utilisent les mêmes mots pour signifier des choses différentes. En identifiant ces différences sémantiques, on peut souvent résoudre les désaccords apparents. Mais la sémantique peut également aider à identifier les arguments fallacieux. Si quelqu’un utilise un mot dans un sens qui n’est pas couramment accepté, cela peut être un signe qu’il essaie de manipuler le débat.
Rappelons que dans le débat public, la sémantique est encore plus importante car les mots ont un pouvoir énorme : celui de "créer" le réel. Dans son ouvrage “La Guerre des mots”, Lakoff explique que lorsque le terme “allègement” est associé à “fiscal”, cela crée une métaphore qui oriente notre perception des impôts comme étant un fardeau. Cette métaphore construit une représentation dans laquelle celui qui supprime ce “mal” est perçu comme un héros, et celui qui tente de l’empêcher est vu comme un méchant. C’est un exemple parfait de la façon dont la sémantique peut être utilisée pour influencer notre perception des choses. En utilisant le terme “allègement”, fiscal les politiciens peuvent faire en sorte que les gens voient les impôts comme un fardeau dont ils doivent être soulagés, plutôt que comme une contribution nécessaire à la société.
Cela montre aussi comment les mots que nous utilisons peuvent avoir un impact sur notre façon de penser. Comme le dit Lakoff, “choisir un cadre, c’est choisir les mots qui véhiculent une vision du monde”. En d’autres termes, les mots que nous utilisons pour décrire quelque chose peuvent influencer la façon dont nous le percevons et, par conséquent, la façon dont nous agissons à son égard.
Enfin, il est important de noter que la sémantique n’est pas une science exacte. Le sens des mots peut varier en fonction du contexte, de la culture, et même de l’individu qui les utilise. C’est pourquoi il est toujours important de faire preuve de prudence et de sensibilité lorsqu’on interprète le langage des autres
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Comment la sémantique et la rhétorique ont-elles été enseignées dans l'histoire?
La rhétorique a des racines gréco-romaines. Au temps des Anciens, on parle davantage de la Rhétorique que de la Sémantique, c'est-à-dire la manière de manier les mots dans les discours, principalement oratoires. Disciple de Platon, Aristote est la figure de proue de la vision rhétorique dont nous avons héritée jusque ce jour. En effet, il s'intéresse à la dimension persuasive des discours, structurée autour d'arguments logiques.
J'ai également eu connaissance de l'histoire suivante : Au VIe siècle avant Jésus-Christ, en Sicile, les tyrans de Syracuse ont spolié les propriétaires de leurs terres. Pour aider ces derniers à recouvrer leurs biens, un certain Corax les a formés à la rhétorique pour leur donner les moyens d’assurer leur propre défense, faute d’avocats pour le faire en leur nom. C’est ainsi que la rhétorique serait apparue, d'abord pour des raisons juridiques donc défendre le bien versus le mal) avant de se développer pour des raisons philosophiques (dire le vrai versus le faux) un siècle plus tard à Athènes.
En effet, la rhétorique, en tant qu’art oratoire, a joué un rôle central dans la Démocratie athénienne. Elle était considérée comme un outil essentiel pour persuader et convaincre les autres. Les Grecs utilisaient la rhétorique de plusieurs façons pour atteindre ces objectifs, comme l'utilisation de la métaphore ou de la répétition, ou d'autres figures de style, que nous verrons tout à l'heure.
Quels liens entre rhétorique, sémantique et l'éloquence?
L’éloquence est l’art de s’exprimer avec aisance, de convaincre et de persuader par le discours. Pour être éloquent, il faut maîtriser la sémantique, c’est-à-dire comprendre le sens des mots et savoir comment les utiliser de manière efficace.
La sémantique permet à l’orateur de choisir les mots justes pour exprimer ses idées et ses sentiments. Elle lui permet également de structurer son discours de manière logique et cohérente, en veillant à ce que chaque mot et chaque phrase contribuent à l’argumentation globale.
La sémantique joue donc un rôle crucial dans la persuasion, mais n'en est qu'une petite partie. L'éloquence, ça n'est pas que du fond et du sens, de la sémantique donc, mais aussi de la forme, un corps et une voix !
A noter que la rhétorique est une discipline, là où l'éloquence est davantage une qualité individuelle.
Rhétorique, sémantique et éloquence dans les discours politiques
Quelles évolutions notables percevez-vous en termes de sémantique et rhétorique dans les discours politiques, en Europe? Débattions-nous mieux à l'époque de Chirac ou Mitterrand, ou VGE ?
Vaste question. La champ politique n'existe pas en dehors du champ social. Les tendances linguistiques observables dans la société "contaminent" donc assez normalement les discours politiques. Ne serait-ce parce que les formats et médias ont évolué : s'exprimer en 140 caractères, personne ne l'aurait imaginé il y un siècle ! Les discours politiques se font actuellement plus émotionnels, voire pulsionnels que d'antan. Cela se traduit de manière concrète par la simplification croissante du langage politique. Les messages sont de plus en plus courts et simplifiés, souvent réduits à des slogans ou des phrases "choc". Cette tendance est en partie due à l’influence des médias sociaux, qui favorisent les messages courts et percutants, comme je le disais.
Notons également, sur le plan de la forme, l'augmentation des insultes et injures. La violence verbale me semble davantage présente et "visibilisée". L'épisode du "ferme ta gueule" de Gérard Larcher est éloquent de ce point de vue là. Sans dire que c'est bien ou mal, c'est-à-dire de porter un jugement moral, je constate la présence de cette violence verbale, dont le dénigrement et les menaces font également partis.
Sur le fond nous assistons également à une polarisation croissante du discours politique. Les nuances et les complexités sont souvent écartées au profit de positions tranchées et de discours “nous contre eux”. Cette polarisation peut être exacerbée par l’utilisation de certaines techniques sémantique et rhétorique, comme l’emploi de termes chargés émotionnellement ou l’utilisation de métaphores polarisantes.
Pour conclure, cela ne signifie pas nécessairement que nous débattions “mieux” avant. Les discours politiques du passé avaient leurs propres problèmes et leurs propres biais. Cependant, il est important d’être conscient de ces évolutions et de réfléchir à la façon dont elles influencent notre perception de la politique et notre participation au débat public.
Comment appliquer la Rhétorique pour devenir plus éloquent public : les 3 règles pour une prise de parole en public
Règle n°1 : Inspirez-vous de la Structure des Anciens
La Rhétorique traditionnelle comprend 5 parties :
l’inventio : c'est la capacité à être inventif, à trouver des arguments et des procédés pour convaincre,
la dispositio : c'est la manière d'ordonner et d'exposer les arguments pour les rendre irréfutables,
l’elocutio : liée à la finesse sémantique de l'orateur qui sait trouver les bons mots,
l’actio : c'est la partie liée à la communication non-verbale du discours (diction, gestes de l’orateur, etc.)
la memoria qui renvoie aux précédés permettant de mémoriser le discours, c'est-à-dire de l'avoir rendu impactant.
Cette structure permet d'identifier les axes du discours indispensables à tout exercice de persuasion.
De manière davantage moderne, de nombreux penseurs (tel Roland Barthes), ont montré comment les Sophistes ont influencés nos discours actuels. Notamment, on mettant le primat sur la "manipulation" du réel par le discours et les mots. Egalement, l'importance de l'ethos de l'orateur (= sa figure, son identité, ses convictions) dans la capacité à convaincre. Enfin, l'appel aux émotions, technique traditionnelle pour convaincre.
Règle n°2 : Une répartition entre Logos, Ethos, Pathos (et Muthos)
Les Anciens avaient identifié les ingrédients indispensables à toute prise de parole. Il s'agit de la juste répartition entre :
Le logos : la dimension rationnelle et logique de tout discours (le Message*);
L'ethos : la dimension charismatique et éloquente portée par l'orateur (l'Emetteur*) ;
Le pathos : la dimension émotionnelle du discours (le Récepteur*) ;
*D'après Roland Barthes dans l'Aventure sémiologique.
Pour ma part, j'en ajoute une autre : le muthos, c'est-à-dire la capacité d'ancrer son discours dans une résonance mythique et archétypale (parcours héroïque, figure mythologique, etc.)
Règle n°3 : Sapoudez votre discours des 3 figures de style les plus efficaces à l'oral
Voici un petit condensé purement subjectif, basé sur mon expérience personnelle :
N°1 : LA MÉTAPHORE
Plus qu'une figure de style, c'est un traitement cognitif du réel. Ce statut particulier la positionne comme la reine de toute prise de parole.
Par exemple, dans la phrase « Paul est un lion », ce sont certaines pro- priétés de la catégorie lion qui sont associés à Paul. Sa vitalité, sa force, sa noblesse pourquoi pas. Les dimensions liées à l’aspect félin, à quatre pattes et paresseux sont neutralisées et bloquées par notre cerveau.Voici un autre exemple que prennent Hofstadter et Sander : lorsque l’on dit « ce film est un navet », il y a une superposition, un espace commun entre le navet-légume (catégorie 1) et le navet-film (catégorie 2), disons la dimension insipide. Eh bien cela crée une autre catégorie « insipidité » (catégorie 3). Lorsque la métaphore est trop figée, par exemple dans la phrase « Michel est un maquereau », le lien entre Michel-maquereau (catégorie 3) et les catégories de départ maquereau-poisson (catégorie 1) et maquereau-proxénète (catégorie 2) sont plus difficilement accessibles. Mais la situation elle, reste compréhensible grâce à l’actualisation de la parole : un certain locuteur parle précisément de ce Michel-là.
(...)
Finalement, toutes les mères juives ne sont pas des mères juives... Puisque seulement certaines propriétés s’activent, et d’autres se neutralisent : « Il n’est pas indispensable aux mères juives d’être juives, ni même d’être mères : un père, une grand-mère (ou un grand-père), un collègue de bureau, un responsable hiérarchique, tous peuvent être membres de la catégorie mère juive dès lors qu’ils en présentent les principales carac- téristiques (...). Notre faculté d’analogisation permet d’étendre la caté- gorie à des entités qui partagent les mêmes caractéristiques profondes, même si la description littérale semble incompatible avec l’étiquette de l’expression37. »
(...)
Voici la magnifique phrase de Saint-Exupéry qui résume les enjeux de la puissance métaphorique : « Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose... Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. » Oui, la métaphore est organique : elle ravive la vitalité de la langue. Elle est présente au cœur de la vie. Extrait du livre Anti Bullshit, pp134-35.
N°2 : LA RÉPÉTITION
C'est l'un des outils les plus puissants. La répétition est au cœur de tout discours et de tout art oratoire. Elle est l’une des figures de style les plus anciennes et les plus simples, mais aussi parfois les plus fastidieuses. Les figures répétitives peuvent assumer une fonction descriptive ou intensive, ou simplement formelle, ou liturgique voire incantatoire.
La répétition consiste à employer plusieurs fois les mêmes termes ou le même tour, soit pour le simple ornement du discours, soit pour une expression plus forte et plus énergique de la passion. Elle peut avoir lieu de plusieurs manières, et se présenter sous plusieurs aspects différents. Il en existe de plusieurs types, par exemple, la répétition du début de phrase s'apelle l'anaphore. On se souvient de son utilisation par François Hollande lors du débat d'entre-deux tours : "Moi président de la République., je..." répété 15 fois tout de même.
La stratégie discursive ici mise en place tente de nous persuader à force de dire et de redire, par la force d’évidences qu’elle finit par susciter, innocentant ainsi le discours. La répétition peut aussi jouer sur des effets de sonorité, avec l’allitération et l’assonance. Alors que l’une répète les consonnes, l’autre répète les voyelles. On se souvient du slogan "Si juva bien, c'est Juvamine", par exemple. Tout discours impactant est un discours qui sonne bien et flatte l'oreille. Attention, l'impact significatif et sonore renforce le message, le rend plus mémorable. Parfois au détriment de l'individu qui n'est pas toujours consentent à voir son espace mental ainsi envahi. Il est vrai que la répétition s'acharne a entrer dans notre cerveau archaïque, qui n'est pas le plus "intelligent" ni "évolué.
N°3 LA PRÉTÉRITION
Je crois que c'est ma figure de style préférée. Elle est un peu vicieuse mais terriblement efficace. Car la prétérition brouille les pistes et instaure le doute. Elle consiste à feindre ne pas dire un argument, tout en le disant. Voici deux exemples.
Le premier se situe dans l'entre-deux tours entre Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal. A l'époque, le futur président afirme : « il faut en finir avec ces discours creux (pas le vôtre, je ne veux pas être désagréable) ». Ici, la phrase ne fait pas ce qu'elle prétend. A l'inverse, Beatrice Fracchiolla qui a analysé ce débat parle de discours d’agression, voire même de persiflage:
ce que nous entendons sans l’enregistrer cependant au niveau conscient en raison de l’effet contrecarrant de la double négation « pas le vôtre » et « je ne veux pas être désagréable ». On pourrait ici arguer qu’il tente de façon répétée de rejeter les prises de paroles de SR dans la sphère des « femmes aux discours creux » (futiles) et du « bavardage » féminin de manière très organisée : en particulier, il l’attaque de manière répétée sur son « imprécision ». Il la rabaisse donc de manière indirecte en qualifiant son discours de « creux ».
Le deuxième exemple concerne toujours Ségolène Royal. Il s'agit du billet d'humour de Stéphane Guillon dans "On m'a demandé de vous calmer" :
Après, la situation s’est envenimée : « Et ce p’tit con de Guillon qui m’attaque toujours sur mon physique, est-ce qu’il aurait les couilles de dire à Ségolène qu’elle s’est fait limer les dents, botoxer le front et liposuccer les hanches ? »
Non, non désolé je n’ai pas ce courage, comme tout le monde ici j’ai des consignes : « Rien sur Ségolène ! » Notre président Jean-Paul Cluzel lui voue un culte absolu. Il l’aime comme... Delanoë aime Dalida.
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